: Entretien avec Patrick Pineau
Propos recueillis par Jean-François Perrier
Les Hortensias est une nouvelle étape dans votre collaboration artistique avec l'auteur Mohamed Rouabhi. Est-ce vous qui lui commandez des pièces ?
Notre collaboration va au-delà des pièces puisque nous organisons de multiples ateliers depuis de nombreuses années avec des amateurs ou dans des écoles de théâtre. Pour les pièces, ce sera la troisième que nous allons créer ensemble. Ces pièces sont le résultat de notre compagnonnage, de nos rencontres fréquentes, des discussions que nous avons régulièrement. Il ne s'agit pas à proprement parler de commandes mais d’envies que nous partageons à un moment donné. Après Jamais seul, joué à la MC93 en 2017, nous avons eu le désir de creuser un peu plus certains thèmes que nous avions abordés.
Qu'est-ce qui caractérise pour vous l'écriture de Mohamed Rouabhi ?
C'est son univers qui me touche d'abord
et bien sûr le style de son écriture.
C'est une langue chaleureuse et imagée.
Je le perçois comme un grand poète de
la scène qui sait, à partir de situations
très concrètes, ouvrir nos imaginaires et
en particulier celui des interprètes car il
écrit pour les comédiens. Il y a beaucoup
d'humour dans ses pièces mais aussi
toujours quelque chose de grinçant,
quelque chose qui fait un pas de côté, qui
souligne la complexité de ses personnages
et par là-même la complexité du monde
dans lequel nous vivons. Son écriture
est à la fois organique et très littéraire.
Dans l'interprétation de cette langue,
il faut toujours être au plus près de la
construction stylistique. On pourrait croire
à tort que c'est presque une écriture
improvisée, mais en la travaillant, on
s'aperçoit très vite que c'est une fausse
simplicité qui demande une grande
exigence de la part des interprètes. C'est
un auteur avec une grande sensibilité qui
maîtrise l'art du dialogue d'une manière
très cinématographique.
Pourquoi avoir choisi cet univers clos d'une maison de retraite réunissant des gens du spectacle vivant ? Cette pièce est-elle aussi une réflexion plus générale sur le monde du théâtre ?
Il y a forcément plusieurs niveaux de
lectures possibles à partir du moment
où une partie des personnages sont
issus du milieu du spectacle. Quand
Tchekhov écrit La Mouette avec comme
personnage principal une actrice,
Arkadina, il y a forcément un regard qui
est porté sur le théâtre mais on est aussi
plongé au cœur d'une histoire de famille,
au cœur d'une société troublée. Avec
Les Hortensias la grande diversité des
personnages, au nombre de 48, permet
de raconter plusieurs histoires.
Il y a un
personnage qui est vraiment l'incarnation
de l'acteur au sens où il joue autant dans
la vie que sur scène. Mais à un moment
il va arrêter de jouer un rôle auprès
des autres pensionnaires et se dévoiler
intimement. Il y a donc un va-et-vient
entre le théâtre et la vie, entre la vie et
la mort qui plane, entre l'envie d'aimer
et la solitude qui rode, entre les petites
histoires personnelles et la grande Histoire
à laquelle certains personnages ont
participé, souvent à leur corps défendant.
Dans ce lieu clos il y a des surprises, des
coups de théâtre, des révélations car ces
personnages ne sont pas des caricatures
ou des archétypes. Ce sont des êtres
humains traversés de sentiments parfois
contradictoires.
En 1939, le réalisateur Julien Duvivier réalisait son film La Fin du jour qui se déroule aussi dans une maison de retraite dans un univers assez crépusculaire. Comment vit-on aux Hortensias ?
Ce n'est pas du tout crépusculaire.... Les résidents sont des êtres encore bien vivants et « bons vivants » qui se battent mais sans être dupes. Ils manient l'humour avec un certaine dose d’autodérision. Ils continuent à aimer, à se chamailler, à se surprendre. Bien sûr il y a des brisures, des failles qui se révèlent. Ils savent ce qui se passe hors de leurs murs, les risques qui menacent leur résidence. Mais pas d'abandon, pas de laisser-aller en attendant la mort. Tant du côté des pensionnaires que du personnel soignant, il y a de la vie et les éclats de rire succèdent aux petits ou grands drames. Le sujet est grave, puisqu'il s'agit du vieillissement et de la mort prochaine, mais c'est quand même une comédie.
Comment faites-vous jouer ces 48 personnages ?
Onze comédiens professionnels qui joueront plusieurs rôles et 8 comédiens amateurs qui seront choisis dans chaque lieu où nous jouerons. Mohamed Rouabhi et moi voulions réunir des jeunes comédiens et des comédiens plus âgés pour qu'il y ait une rencontre enrichissante pour tous. Ce mélange des générations nous permet de constater qu'il y a toujours de la passion, une envie d'être sur le plateau, une envie de partager. Pour les amateurs, leur présence correspond à notre désir de s'inscrire dans les lieux où nous jouons. Les neuf années de travail avec Mohamed Rouabhi pour mettre en scène des pièces écrites spécialement pour les amateurs nous ont donné envie de les intégrer à ce spectacle.
Cette confrontation entre générations est aussi forcément une confrontation entre le passé et le présent ?
Oui puisque nous traversons la vie de ces personnes âgées. Ressurgissent donc les drames de la grande Histoire. Notre pièce n'est pas un témoignage historique exhaustif mais elle est alimentée par ces souvenirs qui remontent après avoir été dissimulés pendant longtemps. Nous restons toujours à hauteur d'homme.
Pas de nostalgie donc ?
Aucune. C'est une pièce qui parle d'aujourd'hui et pas d'un âge d'or qui serait en train de disparaître. La seule touche de nostalgie que je revendique c'est celle d'un théâtre « avec décors ». J'aime la machinerie de théâtre. Nous avons donc imaginé avec Sylvie Orcier, la scénographe, un plateau qui se transforme au gré des scènes.
- Propos recueillis par Jean-François Perrier en mars 2021 pour la MC93
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