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Le Loup dans mon oeil gauche

Caroline Boisson ( Mise en scène ) , Philippe Clément ( Mise en scène )


: Note d'orientation artistique

LE MATÉRIAU DE BASE : LES HISTOIRES PERSONNELLES DES ARTISTES AYANT PRATIQUÉ L’ART BRUT


Chaque jour à notre insu, des gens, des anonymes et inconnus dits « ordinaires », après ou avant leur travail, créent, dessinent, découpent, peignent, bâtissent, inventent, sculptent ou écrivent. Rien que de banal, direz-vous ? Rien de plus extraordinaire au contraire, lorsqu'il ne s’agit pas de leur métier et que ce qu’ils font là, ils le réinventent totalement, sans l’avoir jamais appris. Passion, visions, transcendance, mais aussi désespoir et quelque fois maladie.


Le facteur Cheval ramasse des cailloux sur les chemins, perdant quelque fois le courrier,
Aloïse institutrice contrariée dans sa vocation de cantatrice tombe éperdument amoureuse de Guillaume II, elle écrit et dessine depuis,
Henri a inventé une machine à tailler les vignes, mais se fait voler son invention et se réfugie dans un autre monde,
Jeanne se voue au spiritisme et à la divination puis dessine, brode et écrit le restant de sa vie en devenant Jeanne d'Arc,
Un autre, que l’on nomme Jeannot, de retour de la guerre d'Algérie et après avoir enterré sa mère, contre l’avis de tout le monde, sous l’escalier, s'enferme chez lui pour sculpter un texte halluciné dans le plancher de sa chambre,
Jean-Pierre, quant à lui, chef de gare à Angers, nous révèle les origines de l'espèce humaine et du langage dans un évangile de mille pages qu'il fait tirer à son compte et distribue gratuitement. Il y dévoile la Grande Loi cachée dans la parole et nous démontre la prodigieuse évolution humaine : l'homme descend de la grenouille !


Ces « petits et humbles ordinaires », qui sont tous de grands artistes et inventeurs, font le spectacle et nous transportent dans leur monde bigarré et fantasmagorique.


L’ÉLABORATION DU MATÉRIAU-TEXTE


Initialement il y a eu pour moi la volonté de ne pas partir de textes existants, rassemblés dans les institutions psychiatriques ou dans des éditions spécialisées, afin d’éviter de sombrer dans le collage ou le montage de textes, d’une part, mais aussi parce que l’art brut ne se confond pas avec un mode d’expression unique ou une littérature particulière. Il constitue bien un phénomène à part entière et un monde qui se suffit à lui même (bien que sa propre définition reste complexe).
Ma première évidence, en abordant le travail, est qu’on ne peut se substituer aux musées, aux expositions et aux livres en montrant directement les oeuvres au public venu voir le spectacle. Ici, c’est le théâtre qui doit nous raconter l’art brut.


Que peut-on alors transmettre au public ? Tout ce qui n’est pas directement dans les tableaux, les dessins, les sculptures ou les textes, tout l’invisible et la part d’inconscient qui gravitent autour des créations, et bien sûr, les vies (ou fragments de vie quelquefois), qui ont menés à ces oeuvres souvent colossales.
Les biographies des artistes bruts deviendraient donc le chemin par lequel nous pourrions pénétrer ce monde pour mieux le restituer au public, elles seraient la matière même du spectacle et ce qui en soustend le propos (elles sont également le fil d’Ariane qui, à travers cet immense maquis de créateurs, nous permettra de faire le choix des artistes eux-mêmes).


UNE MATIÈRE VIVANTE


Lors des toutes premières séances de travail, le choc de cette matière vivante à la première épreuve du plateau a été riche d’enseignement et nous a projetés dans des directions et perspectives très variées et quelques fois contradictoires.


Mais des lignes communes et des constantes se dégagent de l’étude que nous menons. A travers toutes ces vies anonymes que nous avons revisitées et questionnées, nous avons rencontré un certain nombre de phénomènes communs à une grande majorité des artistes bruts :
La perte du père ou de la mère en bas âge (très souvent).
L’orphelinat, la maison de redressement ou le placement chez des étrangers, l’inadaptation à la vie quotidienne ou à un entourage, les traumatismes profonds, l’internement, les descentes aux enfers multiples et variées, pour aboutir enfin à la création.


Création impérieuse mais libre de toute entrave, dans une générosité et un détachement absolus qui ne s’embarrasse en outre d’aucun souci d’une quelconque reconnaissance.
Et au bout de cette chaîne, un trésor, un diamant brut, la création complète et totale d’un monde unique qui réinvente tout et qui ne ressemble à aucun autre, tandis que les codes communs et la transmission habituelle de la création dite « culturelle » (selon la définition de Dubuffet), font que l’on aboutit en général à des oeuvres plus attendues et en tous cas moins surprenantes, dans la mesure où on leur retrouve plus facilement des points communs avec d’autres oeuvres, d’autres auteurs.


Nous sommes ici totalement dans l’idée, qui peut paraître surprenante à première vue, mais souvent décrite par les spécialistes, les critiques et les collectionneurs, que la vision de l’art brut provoque un choc immense, unique et inégalé, qui ne se trouve pas dans l’art dit « officiel », « institutionnel » ou « culturel » (selon les auteurs et les définitions).


Le mythe voudrait que le collectionneur enragé abandonne la collection de toute une vie, après avoir vu une seule oeuvre d’art brut.

Philippe Clément

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