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Le Cas Sneijder

+ d'infos sur l'adaptation de Didier Bezace ,
mise en scène Didier Bezace

: Note d'intention

Le Cas Sneijder de Jean-Paul Dubois sera la prochaine étape [...] de mon travail théâtral autour et en compagnie d’auteurs de la littérature romanesque.
J’y retrouverai Pierre Arditi qui interprétera le rôle titre ; cette nouvelle création sera la continuation d’un compagnonnage artistique et amical que nous avons entamé en 2001 avec L’École des Femmes créée dans la Cour d’honneur au Festival d’Avignon, puis Elle est là de Nathalie Sarraute, La moustache d’Emmanuel Carrère créées au Théâtre de la Commune ainsi que Les Fausses Confidences de Marivaux en 2009. Il sera entouré de l’équipe artistique et de certain(e)s des comédien(ne)s qui m’accompagnent dans mon travail théâtral depuis de nombreuses années.


LE CAS SNEIJDER EST AVANT TOUT LE PORTRAIT D’UN HOMME BLESSÉ


Seul fragile rescapé d’un terrible accident d’ascenseur, que ce tragique événement force à regarder l’univers qui l’entoure, les gens qui le peuplent avec une lucidité nouvelle. Paul Sneijder n’est pas un combattant, il cherche à survivre et à comprendre l’impérieuse et mécanique verticalité du monde et les conséquences tragiques qu’elle a entraînées pour lui et pour d’autres ; il résiste à cette machine infernale en s’obstinant à rester lui-même, il démissionne d’une vie active et conforme aux normes d’une société conformiste, bien pensante, qui ne lui pardonne pas cette déviance : au motif de le soigner on l’enferme et on le surveille… « Aussi hilarant que désespéré » commentait la presse à la sortie du livre ; effectivement c’est un mélange de cocasserie, d’inquiétude profonde, de drôlerie incongrue, de méchante hypocrisie qui peut faire de ce récit au théâtre, une comédie où le désenchantement se mêle à l’humour et à l’amertume.


LE RÉCIT DE PAUL SNEIJDER SE PRÉSENTE COMME UNE CONFESSION


Une sorte de narration confidentielle dont il faudra décider – au cours du travail d’adaptation et pendant les répétitions – si elle est adressée directement au public par l’acteur qui incarne le personnage (comme c’est le cas dans le livre entre le narrateur et le lecteur) ou si elle est une forme de voix intérieure livrant au spectateur dans un gros plan sonore, ses sensations, ses émotions et son observation aiguë du monde qui l’entoure, tandis qu’on le voit agir face à ses interlocuteurs au cours de scène dialoguées. Cette confidence peut aussi apparaître – a posteriori – lorsque l’action se dénoue, comme un acte d’accusation patiemment (re)constitué par Sneijder lui-même, comme un témoignage susceptible de l’aider à se défendre et à reconquérir sa liberté.
Là encore le théâtre devra décider, sur le plan de la dramaturgie et de la mise en scène s’il oriente le récit vers un simple témoignage existentiel ou s’il y ajoute la dimension secrète de la constitution d’un dossier à charge destiné parle personnage à lui rendre justice dans un avenir plus ou moins proche.


L’ACTION DU CAS SNEIJDER SE SITUE AU CANADA


Plus précisément à Montréal, dans un univers de mégapole côtoyant de grands espaces verdoyants ou enneigés selon les saisons, propices à l’image cinématographique. C’est dans ce vaste monde surdimensionné que Paul vit son exil intérieur. Le théâtre n’ayant ni la vocation, ni les moyens d’une reconstitution réaliste de cette nature, c’est l’espace mental de Paul qui sera sur scène, le lieu scénographique de prédilection, il est peuplé de schémas, de graphiques, de notes et de chiffres qui sont le produit de sa réflexion obstinée et de sa recherche obsessionnelle des vraies raisons qui ont provoquées l’accident dont il a été victime. Cet espace finit par envahir et annuler celui du domicile conjugal dont on ne devinera que des bribes de temps à autre. Ce lieu est aussi une machine à jouer : Paul est toujours avec lui-même au milieu d’un monde réel qui nous apparait par moment à travers le jeu de découvertes changeantes et ramènent les bribes d’une vie lointaine dans le champ de son univers mental, ses interlocuteurs le traversent, s’y arrêtent un moment comme on visite la chambre d’un malade, s’intéressant à son enfermement et y réagissent en fonction de leur rôle social, familial, de leur personnalité et de leurs intérêts.[...]


QUE SERA DONC LE CAS SNEIJDER SUR SCÈNE ?


Il est difficile, comme je l’ai souvent signalé à propos des prémices qui précèdent « l’apprivoisement » d’un livre au théâtre de déterminer précisément, de savoir mécaniquement comment les outils de la scène vont transformer la littérature en dramaturgie et restituer sur le plan dramatique une part de la vérité du livre.
Ce sera peut-être le théâtre d’un complot inévitable du monde vertical contre un homme couché qui n’y peut plus trouver sa place. Ou bien comédie acide et parfois inquiétante où l’hypocrisie, la mauvaise foi, une certaine forme de cruauté sont autant d’épreuves que, tel Oblomov, Sneijder endure aussi patiemment que possible, jusqu’à l’écoeurement et la révolte, l’implosion ? Ce sera certainement l’itinéraire incongru et souvent cocasse d’un survivant têtu dont les réponses à l’indifférence hautaine des « univers à hauts potentiels » sont autant de petites résistances à l’inhumanité ambiante.
Il y a quelque chose d’une nature tchékovienne chez Paul Sneijder, élégant, fragile, désabusé, il est d’un monde vétuste, en voie de disparition, un monde trop modestement humaniste pour lutter contre l’absurde folie des ascenseurs et la vaincre. Sa défaite est la nôtre, les vertigineuses ascensions, même les plus fulgurantes, ne nous mènent pas au paradis mais en enfer…

Didier Bezace

mars 2016

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