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Le Crépuscule des singes

mise en scène Louise Vignaud

: La force de continuer d’écrire

L’écriture du Crépuscule des singes prend son origine dans la très belle idée de Louise Vignaud de raconter Molière par le prisme poétique de Boulgakov. Si les deux auteurs ont vécu à trois siècles de différence, la force satirique de leur littérature et leur lutte commune contre l’acharnement des critiques et du pouvoir ont amené Boulgakov, à deux reprises, à faire de Molière l’une de ses figures littéraires, glissant un peu de lui-même dans les interstices du poète-comédien.


Aussi grands et mythiques soient les deux auteurs, leur rendre justice, ce n’était pas tant mettre en jeu une vérité historique absolue que de convoquer le théâtre dans ce qu’il a de plus fantaisiste et poétique. Faire des deux poètes, à leur tour, les figures d’une fable contemporaine.


Nous avons, avec Louise, pensé l’écriture du Crépuscule comme une dramaturgie de la convocation. C’est parce que Boulgakov se retrouve anéanti par la censure, habité par l’idée du suicide, que dans un dernier élan vital il fait venir à lui le monde de Molière, monde qui progres- sivement va s’encastrer au sien. Ainsi, à la manière des poupées russes, les situations sont toujours convoquées par la scène qui les précède. Alors, dans la pièce, l’onirisme côtoie la littérature, les éléments bio- graphiques se confondent avec ceux fantasmés par l’auteur russe. Nous rencontrons un Molière qui a traversé les époques. Toute la fable passe par la puissance onirique de Boulgakov, un Boulgakov que nous- mêmes nous réinventons. Nous tenions par ailleurs à retranscrire la cohérence des faits et notamment l’implacable appareil politique de l’URSS de Staline.


Il fallait, dans l’écriture, chercher une langue à la fois contemporaine et teintée des motifs idéalisés du classique par l’URSS des années 1930. C’est une langue elle-même faite de projections, les univers se conta- minent, et les époques se superposent. Nous avons mis de côté la russo- phonie de Boulgakov, comme si dans ce monde-là tous pouvaient se comprendre.


Assumant parfois de citer, transformer, faire surgir la littérature de l’un ou l’autre au travers d’une scène, c’est une pièce à la fois écrite et composée. Ainsi, Madeleine, au plus fort d’une crise avec Molière, emprunte les mots d’Elvire dans Dom Juan. Par ailleurs, étant donné le thème de la pièce, il semblait important de travailler sur la conta- mination de la langue. Comment la langue absorbe le pouvoir qui la génère. Comment elle s’appauvrit à son contact tout en devenant son principal outil, la fameuse novlangue de 1984 d’Orwell. Les mots ne disent plus les choses directement, les mots font passer la chose au travers de la machine du pouvoir.


Le pouvoir est comme un fil rouge, il circule à travers les époques, mais possède une forme d’omniscience. Il n’est jamais que la continuité du pouvoir qui le précède ; seule change la forme, mais les pratiques restent les mêmes, d’une certaine manière, sa langue reste la même. C’ est une langue qui ne dit jamais la violence directement, qui la suggère dans les interstices de son vocabulaire lisse sur l’appareil qu’elle entend défendre, une langue contre laquelle la poésie devient la seule issue possible.


C’est d’ailleurs la réponse que choisissent de donner Molière et Boulgakov, continuer d’écrire, continuer d’inventer des mondes chaque fois plus puissants, capables de tendre un miroir aux hommes au-delà de leur temps.

Alison Cosson

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