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Le Couperet

+ d'infos sur l'adaptation de Eudes Labrusse ,

: Du roman au théâtre...

Une théâtralité "originelle" du roman


Dans le roman, le narrateur s’adresse très directement au lecteur : exactement comme un acteur peut le faire sur scène en interpellant le public.
Au-delà de la narration de ses faits et gestes (et notamment des meurtres), cette adresse du personnage au lecteur est souvent menée sur le mode de la justification.
Westlake semble faire dire à son personnage, presque à chaque page : «Comment auriez-vous réagi à ma place ? N’auriez-vous pas fait exactement la même chose ?»
Un jeu sur l’identification, renforcé par l’utilisation fréquente du vous et par l’insistance sur l’appartenance à la classe moyenne dans de nombreux passages savoureux : Burke Devore n’est rien d’autre que l’image de chacun de nous…


Transposé sur scène, ce mode devient quasi brechtien, une sorte de «didactisme», totalement décalé ici par le cynisme de la situation.


Cette apostrophe directe, ce décalage par l’humour noir ne pourront que mettre en valeur de façon directement théâtrale l’aspect amoral du propos et la satire virulente qui est son corollaire.


Une adaptation centrée sur l’analyse de la dévotion libérale


Comme dans le roman donc, le spectacle s’articulera autour d’un monologue du personnage de Burke : une sorte de «confession» justificative.
Il s’agit alors évidemment, dans l’adaptation, de s’attacher avant tout aux pages consacrées à l’analyse clinique de la dévotion libérale que Burke expose pour légitimer l’évidence de ses meurtres.
Et de passer plus rapidement sur les descriptions (aussi macabrement réjouissantes soient-elles) de ces meurtres et de leur élaboration.
Bref, tout en jouant comme Westlake de l’aspect polar, de se concentrer sur la critique politique très virulente qui en ressort : sur scène comme dans le roman, le personnage raconte surtout le drame de la chute, de la perte du rôle sociétal de l’homme dessaisi de sa force de travail par le système… et les conséquences qu’il en tire pour s’adapter à cet état de fait.


Un monologue… en trio


Pour donner davantage de chair et de théâtralité à ce monologue, deux présences accompagnent le personnage pendant sa «confession».


D’abord celle de Marjorie, la femme de Burke.
Sa présence symbolise bien sûr l’idéal familial de la classe moyenne américaine en train de se déliter à cause du chômage (le couple a un crédit pour sa maison et deux enfants à élever).
La comédienne reste une bonne partie du spectacle «à part», tandis que Burke la désigne et parle d’elle en prenant le public à témoin (je ne pouvais pas expliquer à ma femme ce que j’étais en train de faire) : comme une allégorie muette, une présence-absence en quelque sorte, qui apporte un jeu de distanciation ironique à l’intérieur de la représentation.
Dans des jeux d’allers-retours, elle intervient parfois tout de même quand Burke recrée, «rejoue» des scènes de sa confession dans laquelle elle est partie prenante.


Il en est de même pour le pianiste : si son «rôle» est d’abord d’accompagner musicalement la confession, notamment pour décliner le style road movie de la préparation et de l’accomplissement des meurtres, il peut de temps à autre «entrer en jeu» avec Burke dans l’évocation de certaines scènes qui permettront la présence de dialogues.


Un jeu sur l’espace-temps et le présent de la représentation


La scénographie joue du réalisme, voire de l’hyperréalisme pour recréer l’espace d’un intérieur typique de la middle class (canapé, télévision, cuisine et bar américains, etc.) : un espace aussi symbolique qu’essentiel à l’intrigue, puisque c’est bien pour le préserver, pour préserver cette maison qui abrite sa famille que Burke se bat, est prêt à tout.
C’est dans cet espace du réel que se trouve Marjorie (lisant un magazine, préparant un repas…), tandis qu’à ses côtés, comme invisible à ses yeux, Burke parle au public, évoque les scènes passées et des lieux divers, fait naître en parallèle un autre espace-temps.
Les murs de la pièce servent alors de surface sur laquelle sont projetés les CV des rivaux - qui ponctuent les pages du roman et sont évidemment un point d’ancrage de l’intrigue comme de la satire sociale.
A la fin de la confession, l’espace-temps de Burke rejoint celui de Marjorie comme dans un jeu sur le présent de la représentation, et on comprendra alors que «l’énonciation» correspond au moment où Burke attend le coup de téléphone qui lui confirmera qu’il a bien obtenu le poste qu’il convoitait.


Une musique en contrepoint


Cette fois, Christian Roux ne compose pas une musique originale : il reprend des courtes pièces de Bach (fugues et autres) qui à la fois jouent sur l’atmosphère hyperréaliste (c’est le type de morceaux que Marjorie peut apprendre à jouer dans son salon) et surtout résonnent en contrepoint léger aux événements terribles que décrit Burke, renforçant l’humour noir et le cynisme qui portent le roman.

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