theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « La Voix humaine »

La Voix humaine

Francis Poulenc ( Musique ) , Jean Cocteau ( Livret ) , Aleksi Barrière ( Mise en scène )


: « Chanter ensemble » : note d’intention

La Voix humaine de Poulenc est le monodrame lyrique par excellence. Béni par Cocteau (« Mon cher Francis, tu as fixé, une bonne fois pour toutes, la façon de dire mon texte. »), adoubé par le public d’opéra le plus conservateur, adopté par une dynastie prestigieuse de cantatrices qui en ont fait leur morceau de bravoure, il est la suprême célébration de la modernité par la tradition, et de la tradition par la modernité – ce point d’équilibre que l’on appelle, en France, le bon goût. Trésor vivant de la musique et de la prosodie françaises, ultime illustration classique de l’instrument primitif dont elle porte, de manière programmatique, le nom, La Voix humaine est ce diamant du répertoire, parfaitement ciselé dans sa forme condensée et son respect des unités de la tragédie classique – et généralement présenté dans un écrin scénique littéral, surchargé et boulevardier censé correspondre aux goûts de son public, mais trop proche de ce « théâtre d’après le théâtre » que Cocteau dénonce dans sa préface.


C’est oublier qu’un diamant a plusieurs facettes, et qu’il est tranchant. Écrit quelque part entre une escapade amoureuse et une cure de désintoxication à la clinique de Saint-Cloud, le texte de La Voix humaine reprend tous les motifs chers à Cocteau : un amour à la fois trivial et d’une pureté mythique (le couple n’a pas de noms, à peine une histoire), des drogues (les somnifères remplacent ici l’opium), des rêves qui diffractent et se confondent avec le réel, et des mensonges qui prolongent cette confusion généralisée entre ce qui est, ce qui fut, et ce que l’on voudrait qui soit. Il nous semble urgent de rendre l’oeuvre à son originale complexité que, loin d’estomper, l’interprétation musicale de Poulenc accentue, et dont il accroît l’ambiguïté en brouillant habilement les pistes que l’on croyait trouver dans les leitmotive qui jalonnent l’oeuvre : le trouble du mensonge se poursuit dans l’aveu, le songe et le souvenir viennent saturer le présent et ce qui nous semble la vie vécue. Nous sommes embarqués dans une situation où, comme l’interlocuteur du téléphone, nous sommes obligés malgré nous de prendre pour argent comptant ce que nous dit cette femme qui navigue entre la vie et la mort. Nous pouvons dès lors soit la prendre au mot, soit chercher à déchiffrer le mystère de sa profondeur et de sa complexité.


Par ailleurs, l’apparition sur scène d’un téléphone, symbole de la communication moderne, n’est plus d’une extrême nouveauté, et son traitement revêt même un caractère suranné. En revanche, notre génération constamment connectée au reste du monde ne peut qu’être sensible à la solitude, au désoeuvrement absolus dans lesquels nous laissent la perte du véritable contact humain contre laquelle aucune technologie ne peut lutter autrement que comme un faible palliatif. C’est dans ces dédales de solitude et de mort, où plane l’ombre menaçante d’un suicide aux médicaments toujours plus fréquent et banalisé aujourd’hui, que nous emmènent Cocteau et Poulenc, poètes de la modernité.


Se libérer de la pesanteur de l’orchestre au profit d’un unique piano présent sur scène ne peut que renforcer l’impact de cette fable de l’impossible communication, où deux artistes qui s’expriment à travers des instruments différents et complémentaires tentent de dialoguer et de chanter ensemble ce chant d’amour et de mort. Ce dispositif idéal nous permet de relever le défi d’une véritable interprétation de cette oeuvre (au sens fort du terme, et non dans celui qui le rend synonyme du sinistre mot exécution) : se jeter à bras le corps dans cet espace où dramaturgie, intonation musicale, jeu et scène doivent se concevoir organiquement, pour produire un regard collectif et contemporain. Tel nous semble l’enjeu de ce dialogue entre voix et piano qui, loin d’être un simple exercice de virtuosité, est aussi une histoire d’amour.

Aleksi Barrière

octobre 2013

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.