Pour votre deuxième mise en scène au Théâtre de Osses, vous avez choisi un texte de l’espagnol Juan Mayorga, La Tortue de Darwin. Qu’est-ce qui vous a accroché dans ce texte ?
D’abord, c’est Mayorga lui-même. C’est un auteur très important, qui est d’ailleurs reconnu en Espagne depuis une dizaine d’années. Et puis la pièce en tant que telle m’a beaucoup plu notamment pour sa cocasserie. Comme je suis attiré par l’étrangeté, il était normal que je sois séduit par ce « monstre ». Une femme-tortue, c’est fascinant quand on y pense.

Comment décririez-vous cette pièce de Mayorga ?
Je dirais que c’est une comédie déraisonnable qui propose une histoire abracadabrante mais qui permet ensuite d’aborder une foule de thèmes concrets très solides. Mayorga est un philosophe qui utilise le théâtre pour traiter de thèmes importants. Dans La Tortue de Darwin, on passe en revue toute l’Histoire de l’Europe depuis la fin du 19e siècle. On aborde aussi le thème de la passion - de connaître et de dominer - avec en toile de fond un brin d’érotisme qu’on peut apparenter à la fascination qu’avaient les gens du 18e siècle pour la Vénus Hottentote. On touche donc à beaucoup de thèmes.

A quoi ressemble l’univers théâtral de Juan Mayorga ?
Comme Juan Mayorga est philosophe de formation, il y a une pensée forte dans son théâtre. On y retrouve souvent le thème de la relation maître-élève, de la domination, de la recherche du pouvoir. L’un des motifs importants de son écriture c’est la Shoah. Il fait d’ailleurs dire à Harriet qu’il n’est pas toujours facile d’être une tortue, mais que c’est tout de même mieux d’être tortue que juif. Mais la manière dont il rend compte de ces sujets graves est très concrète, très vivante. Une fois qu’il a fixé son projet – parfois très complexe – il s’organise avec clarté pour les faire passer le plus simplement possible.

Quel est le projet de Mayorga dans La Tortue de Darwin ? Son idée morale, son projet éthique, c’est de montrer qu’aujourd’hui nous faisons tout pour oublier le rapport que nous avons, dans le fond, avec l’animalité. Mais en face de cette femme, encore très proche de la tortue, ces deux éminents être humains que sont Le Docteur et Le Professeur se retrouvent face à une résurgence de leur bestialité. Ils retournent à l’état de bêtes car ils sont soumis à un désir primaire, celui de dominer. C’est très malin de la part de Mayorga.

Pas facile de trouver une comédienne qui accepte de jouer le rôle de la tortue.
C’est vrai. C’est une pièce fondée sur la création de personnage. Un vrai défi pour l’actrice qui joue le rôle de la tortue. Il faut que la comédienne ait un désir fort d’interpréter le rôle de ce « monstre », de faire remonter en soi sa part d’animalité. C’est un rôle virtuose car il faut donner consistance à cet animal tout en tirant jusqu’au bout le récit fabuleux de cette tortue. C’est une partition très lourde et il faut du souffle pour soutenir ce parcours. S’il y a une actrice en Suisse romande capable de jouer ce rôle, c’est bien Véronique Mermoud. Je ferais toujours le chemin de Paris à Fribourg pour répéter avec elle.

A qui s’adresse ce spectacle, selon vous ?
Personne ne peut lire cette pièce sans imaginer qu’elle est destinée à de très jeunes gens. C’est magnifiquement bien écrit pour leur faire découvrir ce qu’a été l’histoire du 20e siècle à travers une fable scénique amusante. Mais je crois que la pièce saura toucher un large public car les spectres du communisme et du nazisme font encore partie de notre conscience collective.
Quoiqu’il en soit, Juan Mayorga l’a bien dit : cette pièce n’est pas spécifiquement historique. Au fond, la Tortue n’a qu’un désir : quitter le monde des Humains et rentrer chez elle.