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La Grande Magie

+ d'infos sur le texte de Eduardo De Filippo traduit par Huguette Hatem

: Entre le vrai et le faux

Emmanuel Demarcy-Mota - Novembre 2022

Eduardo De Filippo est une immense figure du théâtre italien, à la fois metteur en scène, acteur hors pair et homme de troupe. Son engagement politique et social constant, dans sa vie comme dans ses œuvres, résonne particulièrement dans l’espace européen d’aujourd’hui. Avec Camus (L’État de siège est écrit en 1948, La Grande Magie en 1949), et quelques années plus tard Ionesco, Arthur Miller et le résistant Vercors, ils forment une galaxie d’écrivains qui portent une révolte et défendent une vision du monde. Chacun à leur manière, ils formulent des interrogations que nous explorons régulièrement avec l’équipe et la troupe qui m’accompagne, pour certains depuis plus de 20 ans.


Chez Eduardo De Filippo, on retrouve un certain non-sens, une certaine vision hallucinée du monde qui semble d’abord provenir de Ionesco dont on sait, grâce à Giorgio Strehler, qu’Eduardo parlait précisément de Rhinocéros. Dans La Grande Magie, comme dans les pièces de l’auteur franco-roumain, la vérité ne réside jamais dans la vraisemblance réaliste. À l’image des indications non réalistes données par l’auteur De Filippo au metteur en scène qu’il est également, nous sommes dans une « fable », un lieu pour l’imaginaire, et non dans une comédie réaliste. Une fable dont le tragique serait la substance même. Un humour à la fois pathétique et burlesque, une comédie amère porteuse d’un message amer, en même temps que d’une mystérieuse humanité.


Ce sont sans doute les thèmes de la magie et de l’illusion qui nous ont attirés de manière décisive vers cette œuvre, en droite ligne du travail sur les Six personnages de Pirandello et de nos essais sur Les Géants de la montagne. Comme chez Pirandello, que De Filippo a connu et admiré, l’existence est un étrange jeu de rôles, et la réalité rien d’autre que le fruit de notre imaginaire. C’est certainement à cet endroit que Pirandello et De Filippo s’entrelacent : ils évoquent les liens entre réel et illusion de façon vertigineuse. Chez chacun d’eux, les rapports humains n’ont plus de base ferme, le réel devient mouvant, imprécis, parfois menaçant. Chacun semble guidé par cette seule conviction que l’identité et l’apparence ne font qu’un, et que sans cette conviction, la vie n’est plus possible.


C’est une des expériences possibles de La Grande Magie, qui s’inscrit dans une interrogation plus globale sur le sens de notre monde, de notre société, sur notre rapport au réel, à la vérité, à l’illusion, à l’imaginaire. Qu’est-ce que la vérité ? La vérité peut-elle advenir par la scène ? La mise en forme de ces réflexions passe également par la scénographie et la lumière, par le travail sur ce qui est éclairé et ce qui demeure dans l’ombre, ce qui est donné à voir, et ce qui ne l’est pas. Cela passe aussi par le rythme, par le mouvement intérieur et circulaire que nous chercherons à donner au plateau, pour évoquer un rapport au temps à la fois physique et cyclique. Car le temps est au cœur de l’œuvre, toujours conjoint au réel, puisque l’illusion permet d’échapper à l’un comme à l’autre, de lutter contre notre dimension « chronométrable » chère à Ionesco. Comme le déclare Otto, maître magicien de La Grande Magie : « Tu crois que le temps passe ? Ce n’est pas vrai. Le temps est une convention. Le temps, c’est toi. »

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