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La Brèche

+ d'infos sur le texte de Naomi Wallace traduit par Dominique Hollier
mise en scène Tommy Milliot

: Entretien avec Tommy Milliot

Propos recueillis par Moïra Dalant

En créant votre compagnie, Man Haast, vous avez ouvert un vaste champ de recherche sur les écritures contemporaines ?


Tommy Milliot : La compagnie a été créée en 2014, avec comme projet de mettre en avant les dramaturgies contemporaines, les auteurs vivants. Ma première rencontre avec l’écriture contemporaine s’est faite par le biais du festival Actoral, avec la pièce Lotissement de Frédéric Vossier qui a gagné le prix du festival Impatience 2016 et a aussi été présentée au Festival d’Avignon la même année.
J’ai eu ensuite envie de découvrir des textes étrangers. Grâce au travail de la Maison Antoine Vitez notamment, j’ai pu découvrir l’auteur norvégien Fredrik Brattberg en 2017. J’ai fait l’expérience de la dramaturgie scandinave, qui a la particularité d’être plus  « trouée  », moins psychologique. Cette rencontre m’a ouvert aux écritures étrangères ; c’était à la fois la découverte d’une culture et d’un auteur.
De là, nous avons fondé un mini-comité de lecture avec la dramaturge Sarah Cillaire, au sein duquel nous partageons nos trouvailles. C’est ainsi que j’ai croisé le travail de l’auteure Naomi Wallace, une Américaine du Kentucky. L’histoire de The McAlpine Spillway m’a tout de suite donné envie de la raconter par la scène. Le titre (extrêmement référencé) faisant allusion à un endroit des USA, la traduction en fournit donc une interprétation : La Brèche. Un spillway est un barrage : un lieu de trop-plein, où des eaux sont déversées. Ma première envie était de raconter une fiction, celle de cette écriture anglo-saxonne très réaliste, narrative et fournie, différente de tout ce sur quoi j’avais travaillé jusqu’à présent.


Qu’est-ce qui a plus particulièrement capté votre attention ?


Cette fiction m’a bouleversé, par sa structure dramatique notamment, qui se joue dans deux époques juxtaposées, 1977 et 1991, deux passés qui se répondent. Le présent se situe seulement au niveau de la représentation. L’histoire est complexe ; elle raconte une tragédie vécue par quatre adolescents en 1977 qui questionnent le désir sexuel face au consentement. Tout commence par un jeu simple, qui engage un défi. L’histoire se passe dans le basement (il s’agit d’une cave à l’américaine) d’une petite maison de banlieue d’un « possible Kentucky ».
Deux adolescents, un garçon de 14 ans et une fille de 17 ans, y vivent seuls avec leur mère, le père ouvrier étant décédé. Ils appartiennent à un milieu social modeste. Leur monde se confronte à celui de la classe sociale américaine plus aisée, par le biais d’un autre adolescent, fil de patron d’un laboratoire pharmaceutique... La pièce est ancrée dans une réalité sociale forte, avec un point de vue critique vis-à-vis des milieux concernés. Les garçons font un pacte afin de défendre le plus jeune qui se fait malmener à l’école. Chacun s’engage à sacrifier ce qu’il possède de plus précieux pour prouver son dévouement aux autres. Sans en révéler trop sur le mystère qui se trame, nous pouvons dire que Jude s’oppose aux garçons mais qu’elle acceptera certaines clauses du pacte, qui auront des répercussions déterminantes sur leur futur. Nous les retrouvons en effet quatorze ans plus tard, de nouveau réunis pour l’enterrement du plus jeune, qui s’est suicidé. Les raisons de cette tragédie ne sont révélées que par bribes, au fil de la pièce, dans un aller-retour permanent entre les adolescents insoucieux qu’ils étaient en 1977 et les adultes qu’ils sont devenus en 1991. Le mystère des quatorze ans écoulés se déplie peu à peu... Il s’agit alors pour le spectateur de remonter les rouages de la tragédie et d’interpréter l’impact que cela a pu avoir sur leurs vies d’adultes.


Cette pièce offre-t-elle une certaine vision de l’Amérique ?


Cette histoire donne à lire en sous-texte une dénonciation de l’accès aux drogues pharmaceutiques aux États-Unis et pose la question du consentement. Deux durées se chevauchent et se répondent : plusieurs mois de la vie des adolescents en 1977, contre une soirée en 1991. Le sujet même de la pièce a une portée politique, elle résonne étrangement dans ce contexte post-Weinstein.
Or, elle a été écrite avant le scandale et porte en elle certes une résonance critique sur le monde contemporain et ses vices (le rapport de scissions fortes entre les classes notamment) mais ne se fait pas pour autant l’étendard d’une cause. Si les références contextuelles sont présentes, telle que la mention des supermarchés 7-Eleven, ou par la musique avec Rock Me Baby de B.B. King, l’auteure place les faits dans une fiction très présente, particulièrement dramatisée par des ressorts théâtraux... The McAlpine Spillway reste une pièce sur une « possible Amérique ».


Comment la double narration se joue-t-elle sur le plateau ?


Il n’y a que quatre personnages mais en réalité ils sont joués par sept acteurs, puisque l’histoire retrouve trois d’entre eux quatorze ans plus tard. J’ai choisi une double distribution, telle que l’auteure la souhaitait, tout d’abord parce qu’en quatorze ans un corps et un visage changent énormément, et qu’il me semblait judicieux de jouer avec ce rapport au réalisme cru, brut, qui hante déjà la fiction et l’écriture. Sans aller jusque-là, je dirais qu’il faudrait qu’il soit possible de croire à la fiction sans artifice aucun, dans un désir d’accessibilité direct à l’histoire. Ce qui m’intéresse n’est pas d’ajouter mais de soustraire, ainsi rien de spectaculaire. Nous approfondissons le noir aussi, parce que le personnage féminin, Jude, passe par ce noir dans l’histoire. Les murs sont déterminés par ce noir, par le vide, le rien. Le son vient lui aussi définir l’espace en s’approchant au plus près des spectateurs, envisagés comme une somme d’individualités multiples et non comme un ensemble indivisible. Je souhaite faire vivre ce noir au spectateur, de manière sensorielle, lui faire faire l’expérience de ce vide.


  • Propos recueillis par Moïra Dalant
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