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La Balade des noyés

mise en scène Eva Vallejo

: Entretien Eva Vallejo et Bruno Soulier

Propos recueillis par Isabelle Demeyère

Isabelle Demeyère : On connaît votre appétit pour des textes contemporains atypiques ; comment et pourquoi votre choix s’est-il porté sur La Balade des Noyés, un roman de Carlos Eugenio Lopez, auteur espagnol ?


Eva Vallejo / Bruno Soulier : Une fois de plus, c’est au détour de nos habituelles explorations livresques que nous avons découvert ce texte et cet auteur, pour nous jusqu’alors inconnus. Plusieurs choses ont retenu tout de suite notre attention : la forme originale d’un roman uniquement dialogué ; son style nerveux, haut en couleurs, son mélange de profondeur et de trivialité, d’humour noir et de métaphysique ; l’approche sulfureuse et provocatrice de thèmes à la fois éternels et contemporains ; la brûlante actualité de son « scénario »; le trajet nocturne, le « voyage au bout de la nuit », le roadmovie ; son aspect cinématographique.


I.D. : Comment s’est effectuée l’adaptation de ce texte pour le théâtre : qu’est-ce qui vous a guidé dans vos coupes ; avez-vous apporté un changement radical ?


E.V/B.S. : Il nous fallait à la fois effacer ce qui scéniquement nous semblait être de l’ordre de la redite, balayer l’ensemble des thèmes approchés, écouter dans nos premières répétitions ce que le travail de plateau nous renvoyait (car c’est bien lui qui décide en dernier ressort), tenir sur la durée une dynamique, une rythmique avec des personnages qui parlent tout le temps, penser l’association du dialogue, de l’image et du son, fabriquer une « vague » qui mène les deux protagonistes de Madrid à leur propre destin, tout en respectant la trame principale et l’histoire propre à chacun d’entre eux.
Mais dans cette adaptation, la décision la plus radicale aura été l’inversion des deux personnages. A l’inverse du roman, nous trouvions intéressant que le questionnement vienne du plus jeune tandis que le plus âgé demeure dans la continuité de ce qui se passe sans remise en question. Nous ne voulions pas que la jeunesse soit facilement stigmatisée dans son acceptation du monde tel qu’il est. A cette décision, s’est ajouté le fait que nous avons à la lecture et d’instinct entendu tout de suite les voix des deux comédiens en correspondance avec cette volonté d’inversion radicale.


I.D. : Vos précédents spectacles avaient cette particularité de présenter un jeu choral où chaque comédien était amené à jouer plusieurs personnages, et voici un texte exclusivement dialogué entre deux personnages joués pas deux comédiens au caractère bien défini : qu’est-ce qui vous a séduit dans ce duo infernal ?


E.V./B.S. : C’est le fait d’aborder pleinement et pour la première fois l’univers du dialogue qui nous a séduit. Nous sommes allés assez loin dans la complexité d’une écriture chorale avec notre dernier spectacle Dehors peste le chiffre noir. Nous avions envie de nous dégager un peu de cette écriture (même si ce dialogue pourrait aussi être une sorte de monologue à 2 voix), avant certainement d’y revenir plus tard.
Et puis c’est effectivement ce duo qui nous a aussi séduit parce qu’il est justement « infernal. »


I.D. : L’aspect cinématographique du spectacle est immédiat : il s’agit d’un road movie. Qu’est-ce qui vous a guidé dans le traitement de la bande-son ? Votre approche musicale a-t-elle été différente de celle des précédents spectacles ?


E.V/B.S. : C’est justement cet aspect cinématographique qui a été la base même de recherche pour l’écriture musicale. Il s’agissait cette fois de développer une partition « filmique » qui mêle, enchaîne, superpose à la fois l’instrumentation, le son concret (la route, la pluie), les voix amplifiées des comédiens, tout en jouant sur différents plans sonores. Tout ceci entraîne un jeu constant, que nous avions commencé à engager depuis quelques créations, entre la régie sonore et le jeu en direct d’un musicien solo présent sur le plateau au clavier et à l’ordinateur, à contrario de nos précédentes écritures où plusieurs musiciens participaient du choeur d’ensemble avec les comédiens. N’étant plus dans une configuration où une parole à plusieurs voix interpelle directement le spectateur, il fallait donc que la musique se positionne également différemment.


I.D. : Votre dernier spectacle évoquait le surendettement ou plutôt, ce que le surendettement génère dans les familles ; La Balade des noyés évoque un racisme presque ordinaire sur fond d’immigration clandestine. Etait-ce important pour vous d’évoquer ce sujet sur une I.scène de théâtre ?


E.V. /B.S. : Oui, cela nous semblait important, surtout abordé de cette manière, c’est-àdire par l’absurde, le monstrueux, la distance, l’humour, le dérisoire, la provocation, sans jamais tomber dans la leçon de morale, laissant le soin au spectateur de faire son propre chemin.
Du reste, tout sujet nous semble important sur une scène de théâtre, pourvu qu’il soit porté par une écriture et un style qui nous prennent d’emblée. Si celui de l’immigration clandestine, du racisme, résonne bien sûr avec l’actualité, il est aussi l’occasion pour les deux personnages durant toute une nuit de questionner ces thèmes fondamentaux : l’amour, le sexe, la guerre, la mort, la maladie, l’autre, la politique,…. Une façon de nous interroger encore : au-delà de ce mélange de platitudes, de monstruosités, de clichés, de mensonges et de vérités, où en sommes-nous aujourd’hui avec tout cela ? Où en sont nos deux personnages avec leur existence, leurs angoisses, leurs propres histoires ? Où les conduit leur trajet ?

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