: Entretien avec Salim Djaferi
Extrait d’un entretien réalisé autour de la pièce Koulounisation avec Sylvia Botella et Salim Djaferi (10 octobre 2021, Bruxelles)
Sylvia Botella
Pouvez-vous revenir en quelques mots à
l’essence de la pièce
Koulounisation : le langage ?
Salim Djaferi
Lorsque j’ai débuté le travail, je me suis posé
cette question : de quelle
manière peut-on traiter la question de la
colonisation et des relations franco-
algériennes sans être victimaire ? Sans doute
en faisant un pas de côté. En tant que
chercheur-artiste, je me suis intéressé au
langage et plus précisément au mot «
colonisation ». Comment dit-on « colonisation »
en arabe ? Autrement dit, Koulounisation
n’est pas une pièce sur la colonisation en tant
que telle. C’est une pièce sur le mot «
colonisation » qui déroule des vécus, des
histoires et des violences, aussi.
Sylvia Botella
Koulounisation questionne notre rapport à la
vérité, à la mémoire, à la transmission à
l’histoire à travers le langage. Qu’est-ce que
nous fait précisément le langage ?
Salim Djaferi
Je suis né de parents issus de l’immigration
algérienne. J’ai souvent été le
témoin de discussions sur ce qu’on appelle la «
Guerre d’Algérie ». Et c’est seulement très
récemment que j’ai entendu le mot : «
révolution ». Cela m’a amené à réarticuler ma
pensée. Et si « La guerre d’Algérie » n’était pas
seulement un fait historique mais aussi
des mots. Quels seraient-ils ? A quoi pense la
langue ? Quelle signification et direction
donne le mot ? Quel est le but ? Qui en
décide ? Qu’est-ce que cela dit de la
personne qui utilise tel mot et pas un autre ?
Toutes ces questions m’ont taraudé de
manière vertigineuse. Ce qui m’a intéressé,
c’est d’entendre le bruit du monde le plus
manifeste. Et surtout de ne pas me contenter
d’enquêter sur des terrains de vie familiers, et
développer une pensée consensuelle.
Sylvia Botella
Ce qui frappe dans votre approche, c’est
qu’elle est à la fois théâtrale et plastique.
Salim Djaferi
J’ai d’abord beaucoup enquêté. Lorsque je me
suis attelé à l’écriture de
plateau, j’ai pris conscience qu’il ne suffirait
pas que je m’attache exclusivement au
matériau documentaire authentique prélevé,
ou que je « dénonce » la langue abimée, les
imaginaires perdus du fait de la colonisation.
Je devais être courageux, créatif. Je devais
proposer un véritablement traitement
esthétique de la question. Sans doute parce
que j’ai trop vu de théâtre documentaire,
décharné, triste et inaccessible, comme
enfoncé dans un intellectualisme.
Très vite et en collaboration avec les scénographes Justine Bougerol et Silvio Palomo avec lesquels j’ai beaucoup appris, j’ai pensé que ce serait par les arts plastiques, par leur déploiement sur le plateau que nous entrerions dans une relation plus sensible et ludique avec les spectateurs et les spectatrices. Certains éléments sont apparus très tôt, comme le fil pour délimiter l’espace ou les plaques de polystyrène comme matériau de construction. Matérialiser la pensée était pour moi la seule position artistique tenable. Je ne voulais pas me retrouver seul au monde avec mes recherches. Je ne voulais pas faire ma bulle.
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