Un dialogue entre la Révolution française et la Révolution haïtienne

Avec Alice Carré nous avons commencé une collaboration au long cours.

Nous avons créé, avec la cinéaste Sima Khatami, La Trêve, pièce d’ac- tualité n°15, qui a joué en septembre 2020 à La Commune.

Parallèlement, nous avons initié avec Alice Carré une enquête historique sur les rapports de la France avec ses colonies au moment de la Révolution Française en vue de construire un spectacle sur la révolution haïtienne. Le projet Aux armes, et caetera revient sur une page manquante de l’histoire révolutionnaire et s’interroge sur les raisons de cette absence.

Au moment où les députés viennent de signer la Déclaration des droits de l’Homme en 1789, personne à l’Assemblée ne songe à abolir l’esclavage. Les enjeux économiques liés au commerce sont trop importants, notamment dans le cas de Saint Domingue (ancien nom donné à Haïti), surnommée la perle des Antilles. Alors que l’assemblée se déchire sur la question d’accorder les mêmes droits politiques aux propriétaires mé- tisses, les esclaves, qui ont entendu à la table de leur maîtres les mots d’ordres révolutionnaires, mettent le feu aux plantations. Ce projet a malheureusement dû être déplacé en raison des conséquences des confinements successifs. Les décalages de calendrier et les reports de spectacles sur la saison prochaine nous ont fait craindre de ne pas pouvoir monter la production de cette forme ambitieuse avec les moyens techniques et humains nécessaires.

Dans ce contexte incertain, nous avons décidé de créer une petite forme tout public pour deux acteurs, qui puisse jouer dans des lieux théâtraux et non théâtraux, afin d’évoquer cette histoire méconnue. Nous voulons nous adresser particulièrement à la jeunesse. Il nous semble urgent d’aborder avec eux la question de la colonisation, de l’esclavage. Car l’histoire passé continue de hanter notre présent.

J’ai donc passé commande à Alice d’un texte qui ouvre une réflexion sur les résurgences contemporaines des mémoires coloniales. Quelle est la situation d’Haïti aujourd’hui ? Comment la France aborde-t-elle sa propre histoire et comment regarde-t-elle l’ancienne perle de ses colonies ? Où en sont les haïtiens avec ce passé et quelle place cette histoire occupe-t-elle dans les mémoires ? Comment de jeunes haïtiens venus vivre en France pourraient-ils observer les silences et les occultations de cette page de l’histoire ?

Un dialogue entre la Révolution française et la Révolution haïtienne Nous avions proposé en 2016 un spectacle à destination des adolescents, Trois songes – un procès de Socrate, qui mêlait théâtre et philosophie. Le texte était une commande d’écriture passée à Olivier Saccomano en palimpseste de trois dialogues platoniciens. Cette expérience était enthousiasmante, tant pour les acteurs que pour les élèves. Nous aimerions cette fois que ce spectacle puisse être une porte ouverte sur le travail de l’historien.

C’est le travail de l’historien que de monter et remonter le temps pour éclairer notre présent.

Aujourd’hui, le passé colonial de la France sort enfin d’un long état d’amnésie et ses mémoires enfouies sont enfin révélées par les deuxièmes ou troisièmes générations dont l’appartenance à la nation française semble encore mise en doute – comme le révèlent les nombreuses discriminations quotidiennes ou les problèmes de représentativité. Cependant, l’universalisme guide encore la majorité des discours politiques et tient encore hautes les valeurs apparentes de la République. Que faire de ce hiatus entre l’universalisme des discours et le conservatisme des pratiques ? Que faire pour que les crispations identitaires ne réduisent pas ou n’enferment pas l’individu à son origine ou à sa minorité, en abandonnant l’idée d’universel ? Comment sortir de l’ethnocentrisme et de l’assimilationnisme sans tomber dans les compartimentations du communautarisme ? Comment penser aujourd’hui, de façon critique mais pas défaitiste, l’universel ?