: Articulation d'un travail depuis 1999
Sur les liens entre stéréotype, mort et érotisme
C’est d’abord une passion pour les poupées, les masques et autres objets anthropomorphes qui m’a
conduit de la philosophie et des arts plastiques aux arts de la marionnette. J’ai voulu interroger les
significations que peuvent avoir des corps artificiels sur scène.
La poupée matérialise un antagonisme dramatique, celui d’un corps qui fait le lien entre l’érotisme et la mort.
Incarnée, elle peut aussi bien évoquer l’absence, le manque, que le fantôme désincarné. Ce corps représenté a
un statut intermédiaire entre le corps réel et cet autre, imaginé, simple objet néanmoins prodigieux tremplin à
fantasmes.
Le travail dont je souhaite faire part résulte donc en premier lieu d’une rencontre entre deux
disciplines artistiques, la danse et les arts de la marionnette, traitant chacune du corps mais par des médiums
différents, le corps et l’objet. C’est le rapport de ces deux médiums, l’influence mutuelle du corps et du corps
artificiel qui m’a fait aller de la poupée au corps et des arts de la marionnette à la chorégraphie. Le
questionnement que provoque la confrontation de ces deux médiums me paraît fondamental en ce qui concerne
la réflexion sur l’image, l’opinion, la perception actuelle que nous avons du corps, la manière que nous avons
de le transformer pour l’idéaliser, le déshumaniser ou le rabaisser au rang d’objet. Le rapport du corps à l’objet
est modifié principalement par la perception urbaine du corps. Les objets et les machines prennent corps, alors
que le corps lui-même a tendance à se déshumaniser.
Et les questions soulevées par les rapports du corps au corps artificiel mènent aux questions qui se trouvent au
coeur de mon travail, celles que soulève le rapport du réel à l’imagination et leurs interférences.
Aussi le lien entre image et mouvement, représentation et réalité y tient-il une place primordiale.
Je travaille donc à la fois comme marionnettiste et plasticienne, tout en inscrivant également mon travail dans le champ chorégraphique et théâtral. Je développe concrètement ce travail depuis 1999 sollicitant divers « genres artistiques ». À la base de mes interrogations, le corps de chair est mis en relation avec des objets anthropomorphes, et c’est bien davantage ma réflexion sur le corps artificiel qui guide mon travail, dans lequel les oeuvres littéraires, philosophiques, plastiques, musicales et autres laissent leurs empreintes.
Splendid’s, Showroomdummies, Stéréotypie et Tranen Veinzen
Au sein de nos créations avec Etienne Bideau-Rey, se sont entrecroisées jusque là les thématiques de
l’érotisme, de la mort et du stéréotype.
La mort, sous différents aspects, traverse les pièces, et ne semble pouvoir être dissociée des questions soulevées
par la représentation du corps.
Splendid’s, Stéréotypie et Tranen Veinzen se rejoignent plus spécifiquement sur la thématique du
stéréotype. Dans Splendid’s, les interprètes incarnent plastiquement des stéréotypes de gangsters, leurs corps
complètement retouchés et le port des masques en font des personnages artificiels, leur image est représentée à
l’instar de photographies. Pourtant leur gestuelle fait défaut et souligne la contradiction entre leur réalité et
l’image que l’on a d’eux.
Dans Stéréotypie, le stéréotype reste à l’état de fantasme, pratiquement inaccessible, il est présent
comme stimulant érotique et comme aboutissement d’un corps et d’un caractère considéré comme brouillon.
Tranen Veinzen agit comme une métaphore de la comédie, comme un masque : sous les aspects d’un univers
complètement stéréotypé et heureux, représenté par un espace et des personnages, une réalité plus sombre se
dévoile au travers des comportements.
Showroomdummies et Stéréotypie sont traversés par la question de l’influence qu’exercent des
représentations de corps sur notre imaginaire érotique. Dans Showroomdummies, nous nous rapprochons d’une
réalisation possible du fantasme, de l’image d’un corps traité comme icône, même si elle peut parfois se
retrouver désacralisée, alors que dans Stéréotypie cette image semble impossible à réaliser et laisse un vide entre
la réalité et le désir.
I Apologize et Une belle enfant blonde / A young, beautiful blonde girl
Dans la suite de ces travaux, le diptyque créé en 2004 et 2005 que forment les pièces I Apologize et Une belle enfant blonde / A young, beautiful blonde girl approfondit ces sujets, tout en travaillant sur la notion d’inquiétante étrangeté, en l’abordant cette fois-ci par le biais du thème de la reconstitution d’un accident, d’une part, et d’un fantasme formulé de crime, d’autre part.
I Apologize est la construction d’un fantasme et la tentative de sa formulation. Une belle enfant blonde / A young, beautiful blonde girl traite de l’expérience d’un fantasme formulé, celui du meurtre.
Ces pièces permettent ainsi de s’interroger sur l’espace de liberté créé par l’univers des fantasmes, notamment
des fantasmes érotiques, de l’expression artistique et de leurs rapports au réel.
Kindertotenlieder
Du fantasme intime au fantasme collectif
Mon travail, centré autour des rapports du corps au corps artificiel, est plus précisément axé au sein de ce projet,
sur une recherche autour des représentations du corps dans l’iconographie autrichienne traditionnelle, qui
permet d’interroger la représentation de l’effroyable et de la mort.
J’ai souhaité travailler particulièrement sur la tradition liée aux personnages des Perchten, des figures qui
surgissent au milieu de l’hiver pour chasser les démons et punir les âmes damnées. Cette tradition, encore
vivante, répond toujours à certains fantasmes qui nous animent, liés à la cruauté, à l’innocence et à l’expiation.
J’ai eu, par ce travail, l’ambition d’interroger le sens des fantasmes exprimés au sein de cette tradition.
Il s’agit également de questionner la confusion qui peut être faite entre, d’une part, les lieux organisés
d’expression du fantasme, comme, par exemple, les cérémonies, et d’autre part, la réalité.
Il faut, enfin, évoquer les espaces où s’expriment les fantasmes collectifs, se poser la question de la place et de
la nécessité du rituel et de l’art dans la société, que l’on peut qualifier de « dépenses improductives »*.
Dennis Cooper écrit une pièce qui développe ces préoccupations. Si mon travail portait jusqu’à présent sur le
rapport entre fiction et réalité dans la sphère de l’intime, nous nous interrogeons, avec ce travail sur la confusion
entre fantasme et réalité dans la sphère collective.
* « La Part Maudite », George Bataille. (Editions de Minuit).
Jerk
Le réconfort du faux réalisme
La pièce « Jerk » fait part d’une expérience intime du meurtre, d’après un fait-divers réel. La narration
linéaire de la pièce renforce cette impression de vérisme rassurant. « Jerk » permet de questionner notre
perception du réel. Si nous l’envisageons dans la continuité de mes trois précédentes collaborations avec
Dennis Cooper, elle interroge la forme narrative linéaire comme un leurre réconfortant.
La question de la réalisation possible du fantasme, qui peut avoir lieu dans l’expérience poétique, et sa
différence fondamentale avec l’expérience réelle, était développée dans nos précédentes pièces. Ici, il s’agit
d’une situation de passage à l’acte : dans cette pièce, une expérience réelle aboutit au bouleversement des
personnages, lorsqu’ils réalisent leur confusion.
La proximité de « Jerk » avec la réalité est renforcée par la forme linéaire du texte et de la narration.
Cette forme permet d’aborder de manière évidente la question de la réalisation du fantasme du crime dans le
réel. Dans la lignée de nos différentes expériences de perception du réel proposées dans nos précédents projets,
cette pièce permet de faire le lien entre formes fictionnelles et formes réelles, structure linéaires et structure non
linéaires. Elle nous permet ainsi d’éprouver le réalisme possible de la forme poétique et l’artificialité possible
de la forme apparemment réaliste. Cette question est posée au coeur de la narration de « Jerk », dans
l’expérience de notre rapport aux fantasmes et au réel.
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