: A propos
En 1992, j’ai reçu les confidences de
Pierre, un ami qui m’a raconté sa guerre
d’Algérie, les horreurs auxquelles, lui un tout
jeune homme a pris part. Plus il parlait et plus
les souvenirs revenaient, ils ne l’avaient jamais
quitté, ils étaient tapis en lui, dans sa chair,
dans sa mémoire, dans ses pensées, dans
ses moindres gestes.
Vingt ans plus tard, j’ai relu le carnet où j’avais
consigné son récit et à l’occasion d’une
résidence de recherche à Argentan, je suis
allé à la rencontre de ces ex « trouffions » de la
guerre d’Algérie, tous devenus grands-pères.
Ils m’ont raconté leur quotidien, montré leurs
photos souvenirs, donné à lire les lettres qu’ils
écrivaient à leurs fiancées, parlé de la relation
avec leur famille, leurs enfants et du poids
énorme que cette guerre avait fait peser sur
leur vie.
Parallèlement j’ai beaucoup parlé avec
des adolescents. Ces rencontres ont été
déterminantes dans la définition de mes
personnages et des enjeux dramaturgiques
qui charpentent mon écriture.
J’ai choisi de situer l’action en milieu rural, dans
un environnement fait de champs, d’arbres,
de rivières, et de paysages agricoles, où tout
semble calme. Derrière cette paix apparente
se dissimulent les secrets, les tensions, les
tourments qui habitent mes personnages et
qui vont déterminer leurs comportements.
La pièce démarre par une scène muette : dans
la moiteur d’un soir d’été, Gus découvre dans
le jardin le corps sans vie de Pierre son grand-père.
L’histoire se reconstruit alors : fragments de vie, instants échappés, souvenirs que
chacun commente. La maison est entourée
d’un vaste jardin abandonné que Pierre
enjoint à Gus de défricher. C’est le lieu de
tous les combats, une représentation de la
vie embroussaillée de Gus qui s’enfonce dans
les herbes hautes, coupe, scie, brûle, travaille
la terre. L’engagement physique, la fatigue,
le rythme forcené qu’impose l’ampleur du
chantier vont, jour après jour, l’aider à remettre
de l’ordre dans sa vie. Quant au vieil homme,
l’observation de ce petit-fils aux prises avec
ses travers le renvoie à sa propre jeunesse et
aux cauchemars qui le réveillent encore la nuit.
Pierre a eu vingt ans en Algérie et a assisté à
des scènes atroces qui ne l’ont plus jamais
quitté. Il a vécu toute sa vie avec ce secret :
la troublante naïveté de Gus va lui permettre
de soulever enfin la chape de plomb qui pèse
sur lui depuis soixante ans. Entre rêve, réalité,
souvenirs, impressions, le récit se perdra dans
le dédale des mémoires, mais laissera paraître
l’essentiel : une relation tendre et affectueuse
entre un vieil homme au seuil de la mort et un
jeune homme qui se lance dans la vie.
Gus et Pierre s’engagent l’un et l’autre dans
une relation qui dépasse leur propre destin.
C’est par le petit bout de la lorgnette que je
veux mettre le parcours de ces gens simples
en perspective avec le mouvement d’une
histoire qui peine à se raconter et à s’affranchir
de ses silences. Je veillerai à ce que cette
réalisation scénique concerne non seulement
les adultes, mais rencontre également un
public intergénérationnel et trouve une
résonance forte, particulièrement auprès des
adolescents.
Ahmed Madani
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