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Inventions

María Muñoz ( Mise en scène ) , Pep Ramis ( Mise en scène ) , Joel Bardolet ( Direction musicale ) , Quiteria Muñoz ( Direction musicale ) , Johann Sebastian Bach ( Musique )


: Entretien avec Pep Ramis et Maria Muñoz du collectif Mal Pelo

Réalisé par Malika Baaziz

Après une pièce intitulée Bach en 2004, puis On Goldberg Variations/ Variations, le dernier volet de votre tétralogie est Inventions. Est-ce la fin du voyage en compagnie de Jean-Sébastien Bach ? Dix-huit ans, c’est long et en même temps court pour créer autour de cet immense compositeur. Que découvrez-vous toujours dans sa musique ?


María Muñoz : Nous souhaitions aller vers l’essence de la musique et de la danse, et comme Jean-Sébastien Bach est un compositeur présent dans nos recherches depuis les débuts de Mal Pelo, soit depuis plus de trente ans, nous sommes revenus à lui.


Pep Ramis : María a fait un premier solo en 2004. Le souhait était de créer alors une performance de danse pure sur de la musique : nous avons choisi Jean-Sébastien Bach. Est ensuite venu On Goldberg Variations/Variations, dans lequel nous partagions ce premier solo avec le collectif Mal Pelo.
Si vous ne vous dites pas « je fais de l’art contemporain », la ligne du temps s’ouvre et vous appartenez à une période plus longue de l’histoire de l’humanité. Vous êtes plus libres dans vos références pour utiliser la littérature, la musique, l’art d’autres siècles, et les adapter au présent. C’est une belle sensation d’établir un lien avec les incroyables compositions de Jean- Sébastien Bach. Nous avons beaucoup joué avec les musiciens, étudié, douté, réinterprété, nous sommes allés contre, avec, dos ou face à lui.


M. M. : La musique de Jean-Sébastien Bach a toujours été pour nous un formidable outil d’apprentissage. Nous y trouvons des méthodes pour passer de structures simples à complexes, pour travailler l’essentiel avec peu de gestes comme il arrive à le faire avec peu de notes. Comprendre comment il crée la dynamique et les nuances dans sa manière d’utiliser le contrepoint dans son écriture, comment les harmonies arrivent dans la composition et certains moments vous amènent à écouter des voix différentes.


Inventions est une pièce créée pour être adaptée à chaque lieu de représentation. C’est donc un travail renouvelé par rapport à l’espace, à l’architecture. Quelles sont les spécificités de ce travail d’adaptation ?


P. R. : Il y a tout d’abord un travail sur le son et sa texture. C’est Fanny Thollot, à la création sonore, qui fait se mouvoir le son de manière très naturelle. Le second travail est celui de l’espace. Chaque lieu contient des tensions, des dimensions et une luminosité différentes.
Nous jouons avec la profondeur des espaces et fonctionnons par strates. Pour le Festival d’Avignon nous tenons par exemple compte du vent. Les entrées des interprètes peuvent se faire différemment, l’ordre des soliloques peut changer.
La pièce a toujours la même substance, mais avec des modifications. Cela a aussi un effet sur la durée des différents segments. Et tout cela influe sur la composition du spectacle. Certaines scènes sont fixes et d’autres plus improvisées, plus modulables.


M. M. : C’est la dynamique du groupe qui révèle l’âme de la pièce.
Nous cherchons à savoir comment ces atmosphères créées se déplacent dans l’espace, comment elles se diffusent de manière fluide. Le corps est en général au centre de la création, et le travail de l’espace scénique, la lumière, les vidéos projetées, les textes viennent s’y entrelacer en strates successives.


La narration d’Inventions semble très abstraite, avec une trame non linéaire...


P. R. : Nous aimons travailler la tension entre des éléments contraires, cela ouvre de multiples perspectives. Les contrastes nous plaisent, ils font que la pièce peut être à la fois fragile et forte, réaliste et spirituelle, noire et blanche, claire et obscure et qu’entre les deux existe une relation fluctuante. L’une n’existe pas sans l’autre. Ce qui est intéressant est la tension que les opposés génèrent. Il en va aussi du degré d’implication dans la fabrication des éléments de narration, à quel point vous voulez finaliser la pièce, apporter une ligne de résolution ou laisser ouvert l’ensemble au questionnement. Ce qui peut être plus intéressant encore car cela suscite l’intérêt et l’imagination du spectateur.


M. M. : Notre écriture – la façon dont nous utilisons les différents langages scéniques – se rapproche un peu de celle des poètes. Nous inventons des paysages que nous ne reconnaissons pas forcément mais que nous acceptons comme un postulat. Petit à petit, nous y entrons sans expliquer pourquoi. Les mots n’arrivent pas à décrire tout à fait les images mais nous nous laissons happer par le voyage.


P. R. : Notre narration peut parfois sembler chaotique et très étrange mais pour nous elle fait sens, elle a une certaine logique et nous espérons que les spectateurs puissent nous joindre.


Dans la pièce, après les gestes viennent les mots. Ceux de John Berger, aujourd’hui disparu, et d’Erri de Luca accompagnent souvent vos créations. Comment s’insèrent-ils dans la composition scénique, quelle est votre relation à ces écritures ?


P. R. : Physique. Notre première relation artistique avec un écrivain, et probablement la plus dense, pendant douze ans, était avec John Berger. À la lecture de ses livres, nous avons senti à sa manière très physique de décrire les détails, les corps, les sensations, la part sociale, qu’il y avait une vraie profondeur et une simplicité dans son écriture. Quand nous l’avons rencontré, il était exactement comme cela, généreux. Il s’est tout de suite rapproché de nos centres d’intérêts, de notre poésie et de notre monde. Nous sommes devenus très amis. Il nous a permis de prendre ses textes, de les modifier comme nous le souhaitions. Avec John Berger, nous parlions beaucoup, et avec Erri de Luca c’est pareil. Il nous a dit que dès qu’il finissait d’écrire un livre, ce n’était plus le sien, il appartenait aux autres...


M. M. : Nous nous sommes rapprochés de ces écrivains de différentes façons. Nous nous ressemblons beaucoup tous les quatre. Ils aimaient venir ici à l’Animal a l’esquena, notre espace d’échange et de formation d’artistes à Celrà près de Gérone, qui est aussi notre lieu de vie. Ce que nous partageons n’est pas seulement notre vie artistique, mais aussi la vie normale, les instants partagés. Ce n’est pas simple d’inclure leurs textes dans une performance de danse, car les mots frappent d’une manière très singulière, notre esprit essaie tout de suite de les comprendre, ils emmènent vers d’autres imaginaires. Mais les mots de John et d’Erri se sont bien mêlés à notre univers.


Comment travaillez-vous avec cette grande équipe composée sur scène de deux quatuors de musiciens et de chanteurs et de huit danseurs, dont vous deux, en plus des techniciens en coulisses ?


M. M. : Notre manière de composer part d’une pratique de groupe que nous avons développée ensemble depuis de nombreuses années. Nous mélangeons nos langages. Venant d’horizons très différents, nous apportons chacun des outils particuliers avec lesquels nous travaillons de manière collective. Inventions a été créée en pleine pandémie. Nous avons dû nous adapter à la situation, faire de nouveaux plans chaque jour. Avec le directeur musical Joel Bardolet, Quiteria Muñoz à la direction vocale, les danseurs, les danseuses et Fanny Thollot, nous avons décidé de commencer par le travail sur la musique, chacun chez soi.


P. R. : Cela nous a pris du temps pour choisir l’ensemble des morceaux. Nous avons d’abord dû structurer la partition puis créer le spectacle autour.
Nous avons été très contents du résultat, Inventions est du pur Jean-Sébastien Bach.


M. M. : La première chose que nous devions développer était ce langage partagé. Cela concerne la manière dont on exerce le corps et ses différentes qualités. Nous avons vraiment beaucoup travaillé sur ce que nous appelions « l’accordage », comme pour les instruments. Nous faisons tous partie de cette partition complexe dans laquelle notre corps doit être à l’écoute, sensible, en accord avec ce que nous générons. Peu à peu, les musiciens se sont joints à l’accordage. Ils nous ont beaucoup appris sur la musique, de manière très simple. Nous avons commencé à mettre en commun les idées importantes sur le mouvement, l’espace, le timbre de la musique. Chaque interprète a des qualités différentes, certains ont une grande vision chorégraphique, d’autres ont un profond sens théâtral, ils ont une présence très forte sur scène. Ils véhiculent des idées, des possibilités sur la dramaturgie. C’est ce que j’aime beaucoup dans ce travail en commun.


  • Entretien réalisé par Malika Baaziz, janvier 2023
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