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Immortels

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mise en scène Nasser Djemaï

: Entretien avec Nasser Djemaï

Propos recueillis par Sarah Turin

Le public lausannois a découvert votre travail à travers le spectacle «Invisibles» présenté au Théâtre Vidy-Lausanne; comment est né ce nouveau projet «Immortels» qui est créé à Vidy, après des répétitions aux Amandiers à Nanterre et au Centquatre à Paris ?


«Immortels» est un projet qui m’occupait l’esprit depuis longtemps. Mon envie était de créer une pièce particulière autour de la jeunesse. Ce projet suscitait de nombreuses interrogations: Quelle jeunesse? Quelle classe sociale? Quelle tranche d’âge? Le travail d’écriture et de mise en scène sur «Invisibles» m’a fait progresser surtout en dirigeant des acteurs plus âgés. Cet exercice a été formateur. J’ai voulu continuer cette position de direction en prenant, cette fois, le parti de m’entourer uniquement de jeunes.


Existe-t-il un lien entre les deux créations?


Il s’agit une nouvelle fois d’une quête initiatique, une aventure de reconstruction à travers un univers vertigineux entre le rêve et la réalité. Joachim, comme Martin, arrive en terre inconnue et découvre les règles du jeu d’un monde parallèle soumis à d’autres lois. Mes deux héros sont plongés au plus profond de leur complexité intime et essayent désespérément de trouver un sens à leur vie. Un travail de recherche conséquent autour de ce projet existe également. Je me suis documenté et j’ai rencontré de nombreux professionnels qui m’ont éclairé notamment sur le langage, les comportements à risques de certains jeunes et leur relation souvent méconnue à la solitude. J’ai également proposé des ateliers d’écriture à deux lycées de Grenoble. Les échanges qui en ont découlé m’ont donné des pistes sérieuses pour l’écriture et la mise en scène.


Comment décrivez-vous votre processus d’écriture?


L’écriture théâtrale est un processus complexe qui est exigeant en temps et en patience. Tous ces travaux d’enquêtes insufflent de la vérité au propos. Des expériences complètement inattendues se sont parfois présentées, qu’il s’agisse de surprises, d’accidents ou d’émotions, elles ont contribué à structurer le récit. Ces circonstances m’ont inspiré. Elles ont formé en quelque sorte une matière brute que j’ai cherché ensuite à transformer, à tordre, à étirer des fois à l’extrême afin d’en tester la solidité théâtrale. Souvent une idée centrale surgit et l’écriture peut commencer.


Quelles étapes avez-vous traversées pour créer cette nouvelle pièce?


Lorsque j’imagine ma pièce, j’essaie de ne pas me focaliser sur les résolutions scéniques, la distribution et toutes les contraintes techniques. Je me concentre d’abord sur l’histoire, les personnages et la solidité de la dramaturgie. Par la suite, la confrontation de la mise en scène arrive et là commence une autre étape du travail. Je me retrouve face à mon texte, comme n’importe quel metteur en scène face à une pièce. François Truffaut disait: «On corrige un scénario au tournage et on corrige le tournage au montage.» Nous écrivons des oeuvres théâtrales et, enthousiastes, nous les imaginons parfaites sur le plateau, mais en réalité le résultat n’est pas concluant. Inversement, il existe une écriture qui s’opère sur la scène et qui débouche sur une justesse remarquable. Par exemple, un acteur propose une piste, un déplacement voire un accident qui bouleverse la pièce. Ces réajustements apparaissent indispensables. De telles subtilités ne peuvent être envisagées que lors de la rédaction du texte et deviennent des évidences au moment du jeu sur scène. Rien ne se passe comme prévu… Dieu merci!


Quelles sont vos sources d’inspiration musicale, littéraire et cinématographique autour de ce projet?


Elles sont très nombreuses, mais certaines m’ont plus marqué que d’autres, je pense à «L’éveil du printemps» de Peter Wedekind, au roman de Jeffry W. Johnston «Le survivant». Le cinéma m’a également influencé avec l’univers de Gus Van Sant, celui de David Lynch ou des frères Cohen. En voici une liste non exhaustive: «Into the Wild» de Sean Penn, «Donnie Darko» de Richard Kelly, la trilogie de «Matrix», «La guerre des étoiles» ou encore la série américaine «Skins». Je suis sensible aux sons, aux bruits, aux ambiances et aux rythmes qui se dégagent dans ces films et ces séries. Pour la musique, mes sources d’inspiration sont également très larges. Certains morceaux ont tourné en boucle dans ma tête comme «Lose Yourself» d’Eminem, «The Pink Room» de David Lynch ainsi que des chansons d’Archive, de Tricky ou de Beast.


D’après vos observations, d’où nous vient ou comment expliquer ce sentiment d’immortalité éprouvé lorsque que nous sommes jeunes?


Mes personnages ont entre dix-huit et vingt ans et l’adolescence n’est pas très loin. Cette transition vers le monde des adultes est une zone de turbulences chargée à la fois de doutes et de sentiments d’invincibilité. Ces perturbations affectent le jeune lui-même mais ne manquent jamais de secouer son entourage, à commencer par les parents dont il doit se détacher pour parvenir à se positionner en tant qu’individu autonome capable d’assumer ses choix et ses décisions. Le fait que la majorité des jeunes se portent bien ne signifie en aucun cas qu’ils échappent aux tumultes propres à cette tranche d’âge, mais qu’ils parviennent à les surmonter. D’autres, plus fragiles, vont avoir davantage de difficultés. Quels que soient les lieux et les époques, le processus de développement repose sur des bases immuables et fondamentales: les transformations physiques et physiologiques, la recherche d’autonomie, les interrogations existentielles, les tentations de la transgression, la découverte du corps, le besoin de contestation ou la construction intellectuelle. Il existe d’ailleurs peu de périodes semblables au cours de la vie, durant lesquelles l’être humain peut apprendre et découvrir tant d’aspects en si peu de temps. Nous entendons souvent dire que les jeunes d’aujourd’hui sont très différents de ceux d’hier. Cette affirmation, en partie vraie seulement, vient souligner que nul n’échappe à l’influence de l’époque dans laquelle il vit.

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