Certaines phrases, elles vous arrivent comme ça, c'est au hasard d'une lecture, d'une conversation, d'un film, vous ne les avez pas cherchées, ces phrases, et pourtant, ensuite elles ne vous quittent plus, elles sont en vous; elles sont en vous et elles creusent, et le plus souvent, elles creusent là où ça fait mal. Ainsi, j'ai dû lire Fin de Partie voici près de trente ans, mais quand le vieux Hamm, seul et dévoré par l'angoisse, éprouve le besoin de parler, de «parler vite, comme l'enfant solitaire qui se met en plusieurs, deux, trois, pour être ensemble, et parler ensemble dans la nuit», il me semble aujourd'hui que ces mots-là ne m'ont jamais quitté, et qu'ils n'ont cessé de creuser, de creuser là justement où ça fait mal. Voilà un auteur qui vous ronge, et si l'on accepte les morsures de son écriture, alors il ne vous lâche plus.

C'est que, s'il n'est nul besoin de pénétrer dans la chambre du Beckett-enfant pour le comprendre, le comprendre exige du lecteur qu'il pénètre dans la sienne. Au plus profonde sa nuit. Et donc au plus près du secret, une approche qui peut ne pas être sans risques. Ce n'est même que par cette recherche, les mots agissant comme effraction, qu'on peut comprendre l'auteur.

A chacun, donc, son Beckett, et c'est en quoi il est universel. C'est aussi en quoi toute certitude à son propos n'est qu'une relative. Parle-moi de Beckett, tu ne feras que me dire qui tu es, ce qui est déjà beaucoup. Et de même qu'on ne peut le lire impunément, on ne peut le mettre en scène ni le jouer sans visiter ses appartements intérieurs, de la cave au grenier. C'est ce que nous avons tenté de faire.