Auteur de la Campagne, du Traitement, et d' Atteintes à sa vie, Martin Crimp rembobine dans Face au mur le fil d'une mémoire brouillée, celle d'un homme devenu fou jusqu'à se livrer au plus abominable des crimes. Quatre narrateurs aux statuts improbables - producteurs ou enquêteurs - dissèquent les souvenirs et le dérèglement de cet individu ordinaire, métamorphosé en monstre abject. L'œuvre représentée, exploration d'un passé trouble, s'étend sur une douzaine de minutes.
La durée semblable de Cas d'urgence plus rares, anticipation d'un avenir douteux, fait du diptyque agencé par Marc Paquien un double uppercut théâtral, d'autant plus efficace que les deux pièces abordent avec une cruauté et un humour dévastateurs la violence des temps contemporains. L'auteur achève le dialogue morcelé de Cas d'urgence plus rares le 10 septembre 2001. D'une écriture cisaillée, il prédit un monde parfait, automatisé à merveille, propre et lumineux. Un nouveau monde que Boby découvre dans son armoire ; une société idéale où nul n'a plus à se soucier de la démographie chinoise ou des réfugiés kurdes. Traducteur anglais de Genet et de Koltès, Martin Crimp
radiographie avec ironie les sociétés organisées autour de l'anonymat de ses sujets et de leurs égarements. À l'affiche de plusieurs scènes internationales, de Broadway à Bruxelles, inscrites notamment au répertoire du Piccolo Teatro de Milan, ses pièces délaissent les conventions de la narration pour évoquer les turpitudes des êtres d'ici et d'aujourd'hui. Marc Paquien a été l'assistant de Jeanne Moreau et le dramaturge de Nathalie Richard. Il a choisi de faire entendre la férocité caustique des pièces de Crimp dans des espaces jusqu'alors inaccessibles : des lieux de non-théâtre situés dans les profondeurs du Palais de Chaillot. Deux sortes d'enceintes de bunker accueillent Face au mur et Cas d'urgence plus rares, projets singuliers aux formes et aux durées inédites « d'avantspectacle», où l'un des auteurs vivants le plus joué donne, avec la politesse de la dérision, ses visions de la tragédie du monde.

Pierre Notte