: Entretien avec Thomas Quillardet
Par Vincent Théval pour le Festival d'automne
En addicto prend appui sur une résidence immersive que vous avez faite au sein du service addictologie d’un hôpital, à l’initiative du Festival d’Automne. Comment s’est-elle déroulée ?
Thomas Quillardet : L’idée était d’abord d’aller à la rencontre
des gens, sans plan préétabli, et de construire cette résidence
en fonction des patients et des soignants. Les premières semaines, je suis venu en simple observateur. Je voulais d’abord
m’assurer que les patients me faisaient confiance. J’ai constaté
qu’ils avaient une grande sous-estime d’eux-mêmes. Et se refaire confiance, corporellement, vocalement, émotionnellement,
passe parfois simplement par le fait de se tenir debout devant
quelqu’un et d’affirmer sa présence.
J’ai senti que le théâtre
pouvait peut-être faire quelque chose. J’ai donc proposé la
représentation de spectacles et l’organisation d’ateliers. Je
leur ai fait faire des exercices simples pour se déplacer dans
l’espace et, surtout, se regarder dans les yeux. Simplement
se dire bonjour, par le regard, ou porter attention à la façon
dont chacun est habillé, pour se considérer et considérer
l’autre. Par ailleurs, j’avais le sentiment que, dans un service
d’addictologie, je rencontrerais des patients lucides sur leur
maladie, qui pourraient me parler de leurs parcours de vie.
Et que je pourrais peut-être créer des récits et une forme
théâtrale pour eux ou avec eux, je ne savais pas encore très
bien à l’époque. C’est ce qui s’est passé, dans le sens où j’ai
consigné des histoires.
À quel moment a commencé le travail d’écriture de la pièce ?
Thomas Quillardet : Au départ, je ne pensais pas faire un spectacle de cette expérience. Mais je pressentais qu’il y avait quelque chose d’universel dans l’addiction et le soin. C’est la confirmation de cette intuition qui m’a menée vers l’écriture. Je me suis alors astreint à un travail d’archivage, chaque soir. Sans vraiment savoir pourquoi. Ma seule explication, aujourd’hui, c’est que je suis très vite tombé en empathie avec les soignants et avec les patients et que j’ai eu envie de partager cela avec le public. Il y a une part de mystère dans ce projet. On peut considérer que l’écriture du spectacle a commencé avec ce travail d’archivage et de mémoire.
Était-ce évident que ce devait être un seul en scène ?
Thomas Quillardet : À mon sens, l’écueil majeur était le réalisme. Recréer un dialogue entre un patient et un soignant,
même avec une écriture ou des comédiens brillants, c’est se
condamner à rester en deçà de cette relation, à éteindre la
poésie de ce que j’avais perçu dans le service. Il fallait métamorphoser cette relation, la rendre étonnante, spectaculaire.
Le solo est une forme parfaite pour cela, avec cette contrainte
majeure de faire exister quinze ou vingt personnages dans
un seul corps et par une seule voix. L’autre contrainte a été
d’installer ce récit dans la bouche de celui qui l’avait vécu,
qui n’est pas acteur mais metteur en scène. Personne d’autre
que moi ne pouvait reconnaître les voix que j’avais entendues.
Pour être le plus honnête possible, il fallait que le témoignage
passe par celui qui avait vécu cette immersion.
Écrire pour vous, c’est aussi injecter de la nouveauté dans votre pratique du théâtre ?
Thomas Quillardet : Quand j’ai une histoire en tête, je pense
toujours au rapport au public. Là, il me semblait évident que
ce serait moi, seul, face au public. Comme un nouveau défi
pour me reconnecter à un désir de théâtre mais aussi au
danger : se retrouver seul face au public, porter un texte avec
des histoires humaines.
Pas pour faire le matamore mais bien
parce que j’étais convaincu que c’était la meilleure forme, celle
qui était en cohérence avec ce que je voulais raconter. C’est
un peu comme ces exercices très simples que j’ai proposés
aux patients dans mes ateliers, quand j’ai constaté un déficit
de confiance et d’imaginaire : on entre dans un espace, on
regarde les gens qui sont devant nous, on respire, on leur
dit bonjour avec les yeux et on ressort. Finalement, ce solo
reprend cette forme : je vais rentrer sur scène, regarder les
gens, leur raconter une histoire et quitter la scène.
Vous parlez d’une « polyphonie de voix » pour décrire En addicto. Comment travaillez-vous cette partition ?
Thomas Quillardet : Cela ne passe pas par l’incarnation de personnages mais par la rythmique, qui diffère selon les paroles, car médecins et patients s’expriment différemment. Il y a aussi la chorale des soignants, où je prends en charge quinze personnes dans une salle. Ces monologues, ces dialogues, cette choralité, je les interprète par le rythme, sans accessoire ni artifice.
Comment s’est posée la question de la fidélité aux histoires des personnes que vous avez rencontrées ?
Thomas Quillardet : Ce n’était pas essentiel, d ’autant qu’il me faut respecter le secret médical : les gens ne doivent pas être reconnus et j’ai fondu les parcours et les histoires. Il n’y a donc pas d’exigence de fidélité. En revanche, je me suis aperçu que ma place était très accessoire : je m’adresse au public mais jamais en tant que narrateur extérieur. Il n’y a que l’hôpital et moi dans l’hôpital. On ne me voit jamais penser ma résidence ou le projet, je suis embarqué avec les gens. Ce qui compte, c’est la rencontre entre le théâtre et les patients, pas ma personne ou mes aléas d’artiste. En cela, c’est un travail documentaire.
On pense aux immersions en milieu hospitalier qu’ont pu réaliser Frederick Wiseman ou Raymond Depardon au cinéma. Avez-vous eu à l’esprit ce genre de références, au cours de votre travail ?
Thomas Quillardet : Cela m’a traversé l’esprit, ainsi que des grands textes sur l’addiction. De la même façon, j’ai voulu voir d’autres hôpitaux. Mais j’ai tout arrêté. Je ne voulais pas partir ailleurs. Ma contrainte, mon corpus, c’est ce qui s’est passé dans cet endroit durant ce temps donné, quand bien même ce n’est pas spectaculaire : ce ne sont pas des grands malades ou des images d’Épinal de l’addiction et de la maladie. C’est d’une grande banalité et je crois que c’est ce qui m’a plu. Ce que je veux mettre en avant, ce sont des parcours humains, nos manques, des choses qui nous ressemblent. Pas la grande trouille.
Comment avez-vous pensé la mise en scène de la pièce ?
Thomas Quillardet : Mon leitmotiv, dans la forme comme
dans l’écriture, c’est la franchise. J’essaie de gommer tout
filtre qui s’interposerait entre le public et moi. Je suis donc
seul au plateau, avec de la lumière, une chaise et une table.
C’est une forme directe et immédiate, un spectacle qui peut
se jouer partout. Après les représentations dans les théâtres,
il va tourner en milieu hospitalier, en école d’infirmières et
d’infirmiers, dans un centre d’addictologie, des universités
ou encore des lycées.
- Propos recueillis par Vincent Théval
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