: Note d’intention
Par Martin Zimmermann
Tyrannie
Selon le Préambule de la
Déclaration universelle des droits
de l’homme, la tyrannie est définie
comme l’oppression en l’absence
d’un État de droit, contre laquelle
les personnes ont le droit de se
révolter. Lorsque nous regardons
le monde qui nous entoure, il est
clair que les différentes formes
de tyrannie se développent de
manière effrayante. Dans son livre
De la Tyrannie : 20 leçons du XXe
siècle, le philosophe américain
Timothy Snyder décrit
concisément et clairement les
enseignements que nous pouvons
et devrions tirer de l’histoire.
Le thème de la tyrannie, du
droit à la révolte et des leçons
pour la résistance forment une
superstructure importante pour
mon travail actuel. Je souhaite
examiner le sujet à la lumière
des tendances sociales actuelles
et trouver de nouveaux moyens
pour différentes formes de mise
en œuvre et d’expression
artistiques.
Je m’inquiète à la fois des tyrannies politique, sociale, familiale et de la tyrannie structurelle dont nous souffrons, surtout lorsque nous percevons notre existence comme une lutte pour la survie. En tant qu’artiste travaillant avec le corps, je me confronte également à la tyrannie que mon propre corps exerce sur moi, par exemple à travers la douleur, mais aussi, inversement, à la façon dont je me comporte de manière tyrannique et méprise les besoins de mon corps ou ceux des autres.
La famille réinventée
Pour toutes sortes de raisons, les
structures biologiques définies
se dissolvent et l’individu, pour
satisfaire à ses besoins sociaux,
doit se mettre en quête de
communautés alternatives,
inventer de nouvelles structures
ou adhérer à des groupements
d’une autre nature qui se
définissent par leurs contenus.
La désintégration des liens
familiaux peut survenir dans le
cadre d’une histoire de migration,
à cause d’une ascension sociale
ou d’un déclassement, mais aussi
d’une maladie ou de traumatismes
subis à l’intérieur de la famille, qui
peuvent en détruire la cohésion.
La figure tragi-comique d’aujourd’hui
Un sujet qui m’occupe
constamment est celui du
clown contemporain. Qui est
le clown d’aujourd’hui ? Dans
notre récente recherche, nous
sommes tombés sur le livre Karl
Valentin Photographien de Wilhelm
Hausenstein. Ce qui nous a
particulièrement émus dans cette
icône de la tradition clownesque,
c’est à quel point Karl Valentin
agissait sous l’effet d’une pulsion.
Il n’y avait là rien de volontaire,
aucun désir de poursuivre ses
élans de créativité, mais un
impératif, une pulsion, comme
si sa propre folie cachée voulait
se frayer un chemin vers
l’extérieur.
Certains appellent
cela la passion ; pour nous, c’est
plutôt l’expression d’un désespoir
face à l’irréversible : la pauvreté,
une déformation physique ou un
handicap, une orientation sexuelle
inhabituelle, un traumatisme,
etc. C’est ainsi qu’Édouard Louis
a fait de son destin un métier : il
écrit maintenant des livres sur
son origine, il peut en vivre, et il a
trouvé une nouvelle famille dans
les milieux intellectuels parisiens.
Ce n’est guère différent d’autrefois,
lorsque les femmes obèses faisaient
payer les spectateurs des fêtes
foraines pour leur montrer leur
corps.
La répétition
La vie est une éternelle répétition.
Ma conduite des personnages
et des corps, axée sur la répétition
permanente et sur les écarts les
plus minimes – et donc sur la
variation – explore entièrement un
espace du possible jusqu’à ce que
tout soit déformé dans l’absurde et
l’incongru, que les lois physiques
soient bafouées et que l’impossible
devienne tout de même possible.
Sur le plan dramaturgique, il en
découle la possibilité intéressante
de jouer une intrigue déterminée
en plusieurs variantes différentes
et avec des issues différentes.
Que serait-il arrivé si l’histoire
avait pris un autre tour à ce
point-ci ? Si un personnage, au
lieu de crier, ne l’avait pas fait ? Si
une autre personne avait été à sa
place ? Jenny Erpenbeck, dans son
livre Aller Tage Abend de 2012, fait
mourir son personnage principal
plusieurs fois, pour le faire revivre
dans le chapitre suivant.
Pour Sigmund Freud également,
la compulsion de répétition est
l’expression de la pulsion de
mort : répétition et mort sont
indissolublement liées.
Chorégraphie et mise en scène
Pour cette production, j’explore
un langage scénique âpre et brut.
Je suis en quête d’authenticité. Je
développe une forme d’expression
sombre et bizarre qui m’est propre,
en sélectionnant avec précision les
danseuses et danseurs, les artistes
de cirque, les actrices et les acteurs
physiques, les musiciennes et les
musiciens. Pour ces artistes de
haut vol, je taille des silhouettes
tragicomiques à leur mesure.
Cette fois, je mise sur l’humour
là où il est le plus mordant et là
où il fait le plus mal.
Le personnage de la mort manipule
la scénographie, broie, menace
et transforme la montagne de
détritus ainsi que les protagonistes,
un peu comme des épaves de
voitures compactées en cubes.
Ce personnage prend plaisir
à ce que les autres se heurtent
à leurs limites, et il fait participer
le public. En même temps, on
voit en lui une espèce de squelette
acharné qui travaille, met en
scène, lutte et occupe tout l’espace
théâtral. Ce personnage crée
une tension entre le public et
les artistes sur scène.
Sur la scène évoluent quatre
personnages qui sortent peu à peu
de leur gangue. Ils retournent
l’intérieur vers l’extérieur,
le rendent visible avec leur corps.
Tout à coup, la créativité, l’humour,
l’inventivité et l’énergie jaillissent
et nous font voir des choses que
nous n’avions encore jamais
vues. Les corps et les matériaux
se mélangent. Le corps devient
déchiqueté comme du papier,
les déchets prennent une texture
et laissent apparaître de nouveaux
objets tout aussi fragiles que
les protagonistes.
Dans ce « freak show », les
frontières entre fiction et réalité
deviennent floues et les acteurs
doivent inventer des choses de
plus en plus extrêmes pour ne pas
perdre l’attention de leur public.
Leur public, c’est nous, et nous
ne sommes pas des monstres.
Eux, ils les jouent pour nous et
vivent constamment de la survie.
Tous recherchent une justification
possible à leur existence.
Leur histoire consiste simplement
à survivre.
- Martin Zimmermann
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