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Ce que j'appelle oubli

mise en scène Nicolas Berthoux

: Notes d'intention

Notes sur le texte


Un jeune homme se trouve presque par hasard, au gré de sa marche, dans un supermarché. Parce qu’il a soif, subitement, il ouvre une canette de bière et boit. Quatre silhouettes. Quatre costumes sombres. Quatre pantalons noirs. Quatre chemises blanches surmontées d’une cravate noire. Quatre vigiles arrivent, rapidement, jusqu’à lui. Ils l’interpellent. Ils l’emmènent, non pas au poste de sécurité, mais loin, loin au fond d’une réserve


- Il ne peut se douter ni imaginer qu’il ne lui restera bientôt que la nudité et la froidure sur un matelas de fer ou d’Inox -


Loin de narrer ou de commenter un fait divers, loin du voyeurisme et d’un traitement faussement empathique, loin d’un pathos qui l’aurait banalisée, la fiction de Laurent Mauvignier est écrite sur une portion de phrase. Une portion prononcée en un seul souffle - un souffle écrit sur soixante pages mais qui dure bien au-delà, un souffle qui ne se perdra ni ne s’éteindra - une phrase prise alors qu’elle a déjà commencé


- et ce que le procureur a dit, c’est qu’un homme ne doit pas mourir pour si peu -


Cette voix qui surgit de nulle part est celle du narrateur s’adressant au frère cadet de la victime. Elle semble être un cri de révolte contre ce que les autres appellent fatalité, être une dénonciation d’un monde - dans lequel évolue une foule anonyme, indifférente - où chacun peut basculer d’un jour à l’autre dans l’oubli, être un écoeurement d’une violence dérisoire au point d’en devenir banalité.


En fixant l’horreur sur ce – pour si peu – sur cette bière, le procureur et tout ceux qui ont, de près ou de loin, donné leur avis sur ce fait divers nient que cet homme avait une vie... mais une vie dans laquelle tout le monde s’ignore, dans laquelle les êtres se croisent sans se voir, une vie d’indifférence qui conditionne celle en société – ce que j’appelle oubli


C’est une société abrutissante et aliénante, égoïste et égocentrique, que nous dépeint Laurent Mauvignier. Cette société est la nôtre. Nous y vivons sans même avoir conscience que nous la subissons. Le constat est sans appel. Nous assistons impuissants au drame qui se joue tous les jours devant nos yeux d’aveugle, et la parole du défunt nous le rappelle avec force et fracas


- ma mort n’est pas l’événement le plus triste de ma vie, ce qui est triste dans ma vie c’est ce monde avec des vigiles et des gens qui s’ignorent dans des vies mortes comme cette pâleur –


La mise en accusation est énoncée et met mal à l’aise. Elle est un immense aveu d’échec et ce vide ne sera comblé par quelque lueur d’espoir que ce soit


– tu ne crois pas que si les gens voulaient ça vaudrait le coup d’attendre le plus longtemps possible de ce côté là de la vie ? Mais ça, c’est encore une façon d’espérer un truc, comme au dernier moment, quand il y avait cette voix qui continuait et répétait, pas maintenant, pas comme ça –


Si ce n’est par ce texte. « J’écris pour agir » disait Voltaire, Ce que j’appelle oubli n’est pas autre chose qu’un acte de résistance.


Notes de mise en scène


Afin d’être au plus près du l’énergie du texte qui pousse les mots hors du corps, le travail scénique s’organise sur le dépouillement, sur la parole simple, sur la parole donnée à écouter, mais avec un corps engagé, un corps qui insuffle les mots.


Sur scène, un comédien seul, seul avec ces mots qui tour à tour attristent, consolent, bousculent, conspuent, décrivent, dégoûtent, interrogent et n’en finissent pas de résonner dans cet espace vide. Un plateau volontairement nu, vide de tout et symbolisant le néant de l’être dans une société où l’homme est seul face à un système qui a cessé d’être humain. Un vide quasi sidéral dans lequel des vies disparaissent chaque jour à l’instar de ces étoiles qui s’éteignent dans l’indifférence la plus totale.


Ce plateau nu est aussi symbole de l’état dans lequel l’esprit doit se trouver pour atteindre la pleine conscience, cet état qui consiste à ramener son attention - l’attention juste - sur le présent et à examiner les sensations qui arrivent au cerveau. Le narrateur ayant atteint cette pleine conscience en devient omniscient et invite le lecteur (le spectateur pour ce qui nous concerne) dans ses pensées, au plus profond de lui, mais aussi au plus profond des ressentis, des souvenirs de la victime. Au travers de la vie d’un homme, il nous conte la vie. Grâce aux propos du narrateur, seul dans un monde abyssal, la vie d’un homme oublié reprend corps.

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