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Britannicus, plans rapprochés

+ d'infos sur l'adaptation de Laurent Bazin ,
mise en scène Laurent Bazin

: Dramaturgie

Néron, un voyeur magnifique


Au départ de ce projet, il y a une scène de voyeurisme troublante qui m’a fasciné. Néron, caché derrière un rideau observe sa victime Junie : il a ordonné à la jeune fille de chasser sans ménagement son amant Britannicus, en lui faisant croire qu’elle ne l’aime plus. Si Junie n’est pas assez convaincante, Britannicus sera exécuté. La jeune femme obtempère avec courage, tandis que Néron, témoin caché du désarroi de Britannicus, jubile. En voyant cette scène, on sent que ce que Néron désire, c’est moins de conquérir Junie, que de jouir de ce spectacle. Il préfère l’onanisme qu’autorise une telle image au fade plaisir d’aimer. Néron regarde Junie regarder Britannicus, sous le regard du spectateur. Dans cette disposition, il y a une mise en scène du plaisir de voir qui n’est pas sans rappeler Les Ménines de Velasquez.
Ce qui excite Néron en Junie, c’est son refus de se donner à voir. Alors que toute la cour rêve d’apparaître sur les écrans de l’empereur pour avoir son quart d’heure de gloire, cachée loin des caméras de Néron, Junie refuse obstinément d’apparaître. En représailles, Néron l’exhibe au grand jour. Il lui vole son image, qu’il souille, et ce vol a la brutalité d’un viol.
Néron, le collectionneur d’images indiscrètes, ne supporte pas que quelqu’un se refuse à son regard. Ceux qui résistent à l’injonction d’apparaître sont les plus désirables et les plus craints. Le parallèle avec notre société de l’image est troublant. Aujourd’hui, les réseaux sociaux font circuler à l’infini des images de chacun et il est de mauvais goût de refuser d’être photographié. On en oublierait presque que l’objectif d’un appareil ou d’une caméra peuvent être des armes d’une violence inouïe.


Une mère et son fils : entre accents bouffons et désirs de destruction


Les enfants les plus obéissants ne font pas toujours les adultes les plus dociles. Ils n’hésitent à faire payer au monde les remontrances et les leçons de vertu qu’on leur a imposées dans leur jeune âge. Néron est de ceux-là. Quand commence l’intrigue, il a tout d’un empereur exemplaire. Mais la générosité du jeune Néron procède moins d’une conviction profonde que d’une obéissance servile, celle d’un animal dressé à la bonté.
Dans cette perspective, les crimes du jeune empereur sont moins les caprices d’un despote insouciant que les premiers actes d’une affirmation de soi. Néron ne veut pas tant faire le mal que tracer un chemin qui soit le sien et affirmer son identité à l’ombre de ses éducateurs. Le plus impitoyable ennemi de Néron n’est pas Britannicus, mais l’amour de sa mère. Dans Britannicus, plans rapprochés, Agrippine n’est pas une veuve noire impitoyable, c’est une femme enjouée, qui déborde de rondeurs et d’amour maternel. Si elle étouffe son fils, c’est à force d’amour, et non d’ordres cinglants. Presque malgré elle, elle entretient Néron dans une perpétuelle enfance. Sous couvert de l’aider dans ses fonctions, elle cultive sa dépendance. Agrippine est sans cesse prise entre le souhait de voir son enfant croître, et le désir déchirant de faire éternellement corps avec lui. Et l’on pressent que, si Néron lui refuse cette union fusionnelle et quasi incestueuse, la violence de son amour pourrait la conduire au crime. Britannicus, plans rapprochés est le portrait de cette mère amoureuse et de l’ascendant singulier qu’elle exerce sur son fils. C’est l’histoire d’une relation qui serait presque comique, si elle ne conduisait à la destruction.

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