: A chaque pièce son langage
Je crée un langage différent pour chaque pièce. Dans «Blackbird», les deux personnages se
tournent autour, explorent, essayent de fabriquer un souvenir. Il y a beaucoup d’arrêts et de
départs. Le langage est venu de là. La pièce comporte aussi peu de ponctuation. J’ai pensé
que je ne pouvais pas mettre de point à la fin des phrases parce que c’était un élément trop
inflexible, trop définitif pour ces deux êtres d’incertitude. La forme est une sorte de miroir de
ce qui est incertain chez les gens. Je ne pouvais utiliser le matériau habituel, aussi, si vous
regardez bien, c’est très sculpté, cela a l’air beau, même si je le dis moi-même. Ce qui me
touche au théâtre, c’est l’inattendu, des choses que les personnages disent hors intrigue.
(...)
J’ai commencé par écrire des nouvelles, ensuite je me suis demandé ce que l’on pouvait
dire par le dialogue seul. Cela ne m’intéressait pas d’écrire des bouts de descriptions entre
ce que les gens disent. La question était de savoir le genre de travail que l’on peut produire
par le dialogue brut. Et de là : qu’est-ce que les gens révèlent, qu’est-ce qu’ils cachent
quand ils se parlent ? Il y a un passage dans une oeuvre de la romancière cubaine Maria
Fornes où elle dit qu’il faut savoir entrer dans la vie de quelqu’un d’autre. Cela a toujours
été une devise pour moi : comment autorise-t-on certains personnages à découvrir d’autres
personnages ? A quel endroit précis laisse-t-on entrer les gens ? Il y a aussi cette autre citation
de Brian Friel qui dit : toute histoire a sept faces. La première qui vous vient en est une.
Mais il y en a six autres derrière. Alors pourquoi ne pas faire pivoter la chose et utiliser la face
suivante, voir comment elle agit sur les personnages, sur l’histoire, sur le thème ? Voilà qui
est au coeur de mon travail dramaturgique.
Je ne suis pas le genre d’auteur à faire entrer deux personnages dans une scène et les faire
se parler l’un à l’autre : ce que j’appelle le bavardage théâtral. Je veux que la structure soit
si tendue et les personnages dans une situation telle qu’ils ne puissent pas ne pas parler.
Je les mets tellement au pied du mur, qu’ils ne peuvent dire qu’une chose. Ils n’ont pas de
temps à perdre en débordements psychologiques. De fait, une vision poétique se profile
intensément, un paysage pour la scène, une liberté formelle radicale et perturbatrice qui
interroge la représentation théâtrale de l’espace et du temps, les notions de fable et de
personnage, de continuité, de logique, de cohérence, de «réalisme». Un théâtre qui cherche
à enfoncer les mots dans les choses comme on pousse un couteau dans le ventre d’une
poule.
David Harrower
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