Le bar est le lieu où se retrouvent deux hommes effrayés. Il s’agit d’une arrière-salle en sous-sol (on accède à l’unique fenêtre par une échelle pour voir ce qui se passe dehors). Elle figure une tanière ? Un refuge ? Une île ? qui protège et isole Nino et Petru. Ici, on craint la venue de quelqu’un.
Le moindre son (la sonnette du bar, le bruit de la porte d’entrée, une voiture qui klaxonne) provoque un sentiment de panique.
Dans cet espace réduit, les deux amis se planquent. Les autres, on en parle mais on ne les voit pas. Le danger reste à la porte. L’extérieur est une menace.

Le son aura une importance considérable dans ce processus. Tout comme la scénographie dont certains éléments possèdent une forte puissance symbolique : la porte, l’échelle et la fenêtre sont les points de passages indispensables entre le dedans et le dehors.
Il ne s’agit pas à proprement parlé d’un huis clos : on pourrait sortir mais en a-t-on vraiment envie ? En revanche quelqu’un risque d’y entrer et de briser l’aspect rassurant du repère.

J’ai fait le choix d’un espace dépouillé pour faire place à l’essentiel : les personnages, leurs conflits, leurs doutes, leurs rêves trop grands pour eux.
Car au milieu d’une misère évidente, Nino et Petru ne cessent d’espérer. Cette pièce qui oscille sans cesse entre le rire et l’émotion, entre légèreté apparente et cruauté, traduit des sentiments universels. L’émotion naît de notre tiraillement entre des sentiments contradictoires. Les personnages, tantôt victimes, tantôt complices d’un système absurde, nous bouleversent par leur grande humanité.

L’essentiel du travail de mise en scène se fera autour du jeu des comédiens.
On travaillera sur le corps de l’acteur, son rapport à l’espace. On s’attachera aussi à affiner les rapports nécessairement conflictuels entre les personnages. Jeu auquel participe nécessairement le public, partenaire indispensable du processus.
À l’origine de mon désir de mettre en scène, il y a la volonté que j’avais de donner la parole à des "candides". Dans Bar, Nino et Petru sont naïfs. Cette naïveté leur permet d’être les témoins privilégiés de notre époque. Ils s’étonnent de ce qui leur arrive, s’en amuse ou s’en inquiète. Mais ils ne jugent pas et ne remettent jamais en question un système (maffieux ? capitaliste ?) qui pourtant les oppresse.
« Notre mission dans le théâtre, c’est de parler des personnes qui se sentent mal, qui sont gênées et qui ont des problèmes » écrit Spiro Scimone. J’ai fait le choix de mettre en scène ce texte pour inviter les spectateurs à observer notre monde du point de vue de deux hommes au pied du mur, deux hommes en bas de l’échelle ; tout est trop haut, difficile à atteindre, à comprendre. Deux rats dans un bocal. Nous sommes ces deux rats.

Pas d’adresse au public. Tout repose sur le principe d’identification du public. Tout repose sur la qualité de jeu à l’intérieur de cet espace, la faculté de trouver le juste équilibre entre l’absurde, l’humour et la grande innocence contenus dans le texte de Spiro Scimone.
D’où l’importance pour moi de travailler sur une direction d’acteur la plus fine possible. Le jeu sera l’élément central de la relation acteur-public.
Bar, c’est un espace où chacun peut se révéler cruel et brutal envers l’autre. C’est aussi une formidable ode à l’amitié. Comme si la plus belle forme d’amitié était d’être là, à l’écoute de l’autre. Les deux héros avancent ensemble avec l’espoir que quelque chose de bon peut arriver : « Nous aimons parler des gens que personne n’écoute, et plus on les regarde, plus on comprend leur préoccupation et plus on comprend le monde. » écrit Scimone.

Christophe Gravouil