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Après la répétition / Persona

mise en scène Ivo Van Hove
Création à partir des textes Après la répétition de Ingmar Bergman, Persona de Ingmar Bergman,

: Entretien avec Ivo van Hove

Propos recueillis par Mélanie Drouère

Ivo van Hove, vous allez créer au Printemps des Comédiens 2023 une version française de Après la répétition / Persona. Votre attirance pour le travail d’Ingmar Bergman est ancienne et ancrée ; qu’est-ce qui retient particulièrement votre attention dans son œuvre ?


C’est très simple, je considère Ingmar Bergman comme un maître, en tant que metteur en scène, mais aussi en tant qu’auteur. Il est selon moi incontestablement l’un des auteurs les plus intéressants et importants du XXe siècle. Il parle toujours de ce qui nous concerne toutes et tous : des histoires d’hommes, de femmes, de familles, d’enfants ; il tient des propos sur la vie, sur la mort, sur l’amour... Il s’agit toujours d’émotions que chacun d’entre nous connaît ou, du moins, sait qu’il va live through. Et il en parle d’une manière très sincère, émouvante, parfois très brutale. Toute la vie est là, dans l’œuvre de Bergman. Pas la vie politique, mais la vie sociale, la vie de famille, la vie des êtres humains.


C’est la première fois que vous vous emparez de deux textes simultanément : qu’est-ce qui vous conduit à rapprocher Après la répétition et l’œuvre monumentale qu’est Persona ?


Après la répétition raconte l’histoire d’un metteur en scène d’environ 50 ans, qui n’a vécu que dans le théâtre, a traversé des succès et des échecs, comme tous les metteurs en scène (rires). Mais, en ce qui le concerne, faire du théâtre est le carburant exclusif de son existence. Dans la pièce, il est pour ainsi dire enfermé dans la salle de répétition : il y dort, il y mange, il y vit. Il considère toutes les pièces qu’il a faites comme des fragments successifs de sa vie. Son œuvre est purement et simplement son autobiographie. Il vit ainsi, dans ce monde d’illusions, comme si c’était la réalité.
Pour lui, le théâtre, c’est la réalité. Pour lui, le théâtre, c’est tout. Grâce au théâtre, il peut parler de ses désirs, de ses blessures, de ses amours, de ses déceptions. Persona, c’est presque l’inverse. Dès le début est donnée à voir une actrice qui cesse de jouer tandis qu’elle interprète Électre sur scène. Elle sort de scène en plein jeu, et ne parlera plus jamais, excepté pour dire un seul mot, à la toute fin. Entre-temps, elle entre à l’hôpital - il est évident qu’elle fait une dépression nerveuse - Pour elle, le théâtre n’est pas la vie.
Il implique même de s’en extraire. De ne pas toujours être là, dans la vraie vie, quand il le faudrait. Parce qu’une actrice répète le jour et joue le soir. Ce n’est pas un job nine to five. Mettre en parallèle les deux pièces revient donc pour moi à confronter deux points de vue sur la place et le rôle de l’art, en particulier du théâtre, dans notre société et dans nos vies.


Ingmar Bergman parle de Persona davantage comme d’une partition que d’un scénario : cette considération vous a-t-elle guidé dans votre approche du texte, votre direction d’acteurs, ou encore dans votre écriture de plateau ?


Ce propos est très intéressant de mon point de vue, précisément parce que je visais dans ce spectacle un déploiement de deux styles de théâtre. Le premier opus, Après la répétition, est vraiment une « pièce d’acteurs », où le jeu est au centre, où le public ressent le plaisir, la jubilation des acteurs à être sur scène. C’est un théâtre des émotions, un théâtre des dialogues, un théâtre des combats. La deuxième pièce, c’est presque – je le dis en anglais parce qu’il n’y a pas vraiment d’équivalent en français - du performance art.
La femme de la pièce, Elizabeth, ne parle pas ; c’est son corps qui parle. Tout est dit dans et par le silence, entre les lignes. Seule la jeune infirmière qui s’occupe d’elle parle ; Elizabeth ne dit rien. C’est donc vraiment proche de la performance : il y a peu de mots, c’est très pictural, et les sons sont également très éloquents. Ingmar Bergman en parle comme d’une mélodie, et la pièce ressemble de fait à une chanson qui durerait une heure.


Vous aviez déjà monté ce diptyque il y a une dizaine d’années, avec une distribution néerlandaise ; quel est l’enjeu pour vous de la recréer aujourd’hui, et en français ?


J’ai à présent un long parcours en France, notamment au Festival d’Avignon avec l’ensemble d’Amsterdam et puis avec le Théâtre de l’Odéon, où j’avais remonté Vu du pont, et l’expérience de le faire dans une autre langue était fabuleuse, car c’est évidemment un défi pour moi. C’était un remake, je n’ai pas modifié grand-chose par moi-même, mais le fait de travailler avec de nouveaux acteurs suffisait à tout changer.
Par exemple, Charles Berling était certes dans les mêmes postures sur scène que Mark Strong, mais ce que l’un et l’autre dégageaient, à Paris ou à Londres, était absolument différent ! J’ai aussi maintenant une trajectoire avec la Comédie-Française, dont j’aime beaucoup l’ensemble d’acteurs.
En fait, je suis, non pas tombé amoureux – car ce n’était pas le cas lorsque j’étais plus jeune -, mais devenu amoureux de la France. J’y ai peu à peu découvert une culture très riche, très attentive à l’art. En Hollande, le regard des politiciens sur l’art n’est pas toujours très glorieux : l’art y est souvent perçu soit comme dérisoire, soit comme un « produit de luxe ». En France, j’ai l’impression que l’art n’est pas du luxe (sourire). Quand j’ai créé Les Damnés au Festival d’Avignon, le Président était annoncé dans la salle. Il n’a finalement pas pu voir la représentation puisqu’il y a eu ce soir-là les attentats à Nice. Il est donc revenu lorsque nous avons présenté la première à Paris, ce qui est inimaginable en Hollande ! Par ailleurs, tous les ministres ont vu le spectacle ! En France, la politique prend l’art très au sérieux, les politiciens ont conscience de son importance pour la société, et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime beaucoup venir travailler en France.


Diriez-vous qu’il y a des particularités dans le jeu des comédiennes et comédiens français ?


Il y a en France tant d’actrices et d’acteurs fabuleux, en effet très différents des acteurs anglais et des acteurs néerlandais. Jeune, j’ai toujours pensé que les acteurs français étaient « des acteurs qui parlent ». Or dans mes spectacles, il y a toujours un langage des corps. C’était aussi le cas dans les spectacles de Patrice Chéreau, qui était mon idole en tant que metteur en scène. J’ai toujours vu beaucoup de spectacles en France, je n’ai bien entendu pas tout aimé, mais j’étais un inconditionnel d’Arianne Mnouchkine, de Peter Brook – bon, ok, il est anglais, mais il a tant travaillé en France et avec des comédiennes et comédiens français... - et de Patrice Chéreau, bien sûr.
Cette idée reçue d’associer les acteurs français à la scansion parfaite a ainsi évolué avec le temps. D’une part, je me suis rendu compte qu’ils prennent le théâtre très au sérieux, au sens où il porte pour elles et eux, au-delà de ce qu’il signifie dans leur vie, une véritable responsabilité envers la société. D’autre part, les actrices et acteurs français ne font pas que « bien parler », ils ont bien souvent une physicalité sur scène particulièrement développée, intéressante, et s’engagent au plateau de manière totale.


Qu’est-ce qui a présidé à votre choix d’attribuer les rôles principaux à Charles Berling et à Emmanuelle Bercot ?


J’ai eu la chance de monter Vu du pont d’Arthur Miller avec Charles Berling, qui est un immense comédien ; c’était une véritable fête pour moi. Nous travaillons très bien ensemble. Aussi, quand Eric Bart m’a proposé de faire cette création à Montpellier, j’ai immédiatement pensé à Charles Berling dans le rôle de l’homme.
A vrai dire, c’était même ma toute première décision. Charles porte tout autant la tragédie en lui que la légèreté, ce qui est rare. Or c’est très important pour le rôle principal dans Après la répétition. Je suis très heureux de collaborer de nouveau avec lui au théâtre. Quant à Emmanuelle Bercot, il s’agit d’une suggestion d’Eric Bart, qui m’a donné des films à visionner et je pense en effet que c’est une très bonne idée, aussi du fait de sa physicalité, car le grand défi de ce rôle va être de « parler sans parler ».


Comment envisagez-vous la scénographie, et la création sonore et lumière, dans l’amphithéâtre de plein air du Domaine d’O dans lequel vous allez travailler en résidence ?


A ce jour, ce que je suis en mesure de dévoiler est que la première pièce se déroule dans une salle de répétition, en huis clos. Après l’entracte, Persona explose le huis clos pour nous plonger en pleine nature. Le son est très important, qui crée l’atmosphère, complètement différente dans les deux pièces. La première pièce se joue sur la musique qu’un homme de cinquante ans peut aimer. Dans la deuxième pièce, les sons évoquent une nature ouverte, mais ce sont loin d’être pour autant de petites chansons bucoliques... En dire davantage serait un spoiler (rire) ; il n’y aurait plus de surprise si j’en disais trop !


  • Propos recueillis par Mélanie Drouère, 27 janvier 2023
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