theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Andromaque »

Andromaque

+ d'infos sur le texte de Jean Racine
mise en scène Anne Coutureau

: JOUER RACINE / Tant de littérature pour tant de corps !

Si l’on désigne, à juste titre, Racine comme l’un des plus grands poètes français, on oublie souvent que l’écriture dramatique est une écriture inachevée. Les mots de Racine attendent la chair des acteurs pour toucher leur but : la création d’un univers de poésie, de fiction et de vérité, l’œuvre d’un art vivant, contemporain par définition. Cette rencontre entre la pureté, la fixité du style (renforcée par la solidité rythmique des alexandrins) et la fragilité de l’incarnation est tout l’enjeu d’une mise en scène. C’est-à-dire : qu’est-ce que la présence instable d’un être animé apporte-t-elle à la perfection ? C’est la question sensible de l’interprétation de Racine.


L’acteur tragique du XVIIème siècle répond radicalement ; il obéit à une seule mission : faire entendre la qualité de la composition dramatique. Il n’y aura jamais eu, en France, de jeu plus codé, plus volontaire, plus intellectuel, plus artificiel, que le jeu dit « baroque » où la diction et la gestuelle obéissaient aux règles très sophistiquées de l’art oratoire, où l’acteur était apprécié pour sa virtuosité dans la déclamation, ce qui supposait une grande maîtrise de la voix et du souffle et une parfaite connaissance des règles.


Une expression naturelle aurait été aussi déplacée qu’illogique car les émotions de l’interprète auraient dégradé la pureté du style. Le bon tragédien devait se hisser jusqu’au sublime de la langue pour la faire entendre, sans la troubler. Son corps était neutralisé, quasi immobile, enserré dans un costume rigide et lourd, empêchant tout mouvement. Sa personnalité devait rester en arrière, voire disparaître au profit de la grandeur du style.


En évoluant vers l’identification et le naturel, le jeu s’est progressivement émancipé mais le style déclamatoire en tragédie, s’il s’est renouvelé au gré des modes, ne s’est pas totalement volatilisé et il en reste aujourd’hui comme un parfum dans l’air de la scène, une petite musique, une sorte de « note tragique ». Souvent inconscient, cet héritage esthétique est parfois revendiqué au nom du Beau.
L’idée derrière est toujours la même : la présence de l’acteur, sa dimension humaine, incontrôlable et trouble, ce corps fait de chair, de sang, d’émotions, de liquides inquiétants, cet individu plein de fantaisie et de personnalité trahit l’œuvre du poète car la nature dégrade la beauté inaltérable et intemporelle de la langue.


Le sujet est d’autant plus intéressant que le théâtre de Racine donne la parole à de nombreux personnages féminins submergés par leur désir amoureux : encore aujourd’hui, le corps des femmes habité, déformé par les pulsions sexuelles n’est pas un spectacle facile à montrer, et sans doute peu digne de l’idée commune que l’on se fait de la grande tragédie française. Cette peur du corps de la femme, c’est la peur du corps tout court, de la nature qui déborde et qu’on ne peut contrôler. Goût pour la convention ou simple réaction bourgeoise, cette vision se fond sans surprise dans l’atmosphère puritaine de notre époque.
Or un acteur, c’est d’abord un corps. Un corps sensible. Surtout si l’on évacue le projet de faire entendre au profit de celui de dire car les mots sont dits par le corps, la voix, le souffle, les émotions, les gestes, les mouvements.


Il n’en reste pas moins que ce théâtre se définit comme un théâtre de la parole, puisque les règles classiques empêchent qu’aucune action n’existe en dehors du dialogue entre les personnages. Le fait de parler est l’action (et ses corollaires, se taire et écouter). Dans cette action, l’acteur s’engage corps et âme. Libéré des canons du modèle classique, le travail de l’acteur moderne, consiste paradoxalement, au départ, à suivre « à la lettre » des règles, celles de la langue française au sein d’une partition, celle de Racine. Partition vocale et respiratoire qui engage irrésistiblement le corps et les émotions.
C’est là que le « miracle racinien » se manifeste : le style porte l’acteur, et non l’inverse. Obéir absolument aux exigences extrêmes de la langue est l’unique voie à l’expression d’une vérité car l’acteur dépasse les contraintes, accède à une liberté sans bornes et gagne un terrain de jeu où sa singularité et sa créativité pourront trouver leur pleine puissance.
Ainsi, sans emphase, ni trivialité, l’être qui s’exprime sur ce théâtre est simplement vivant, respirant, souffrant, parlant. A notre image.


C’est par cette présence sensible, que nous serons peut-être à même de dévoiler une part de l’énigme de notre condition d’êtres de désir, que le génie de Racine a réussi à faire affleurer à la surface lisse du lac profond et secret qu’est cette magistrale œuvre classique.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.