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Aide-toi le ciel

+ d'infos sur le texte de Aline César
mise en scène Aline César

: Note d'intentions

Morales du siècle


‘Aide-toi le ciel’ : un titre en guise de proverbe tronqué qui invite à déjouer les morales du siècle et à prendre le contre-pied des proverbes édifiants comme ‘si tu veux tu peux’, ‘on n’a que ce qu’on mérite’
Ces petites phrases assassines véhiculent une idéologie paternaliste et nous ramènent au temps des institutions de charité chrétienne du XIXe siècle. Cette morale exerce une violence symbolique et insidieuse en culpabilisant ceux qui échouent. Lorsqu’il enquête sur la ‘démoralisation’ du monde ouvrier en 1840, le docteur Villermé pointe du doigt les travailleurs qui ne prennent pas leur destin en main et se laissent sombrer. « Le ciel fait rarement naître ensemble l’homme qui veut et l’homme qui peut » écrivait encore Chateaubriand.
Le ciel a bon dos, qu’il désigne les plans du Créateur, la fatalité ou le déterminisme, il sert bien souvent à justifier les inégalités comme naturelles ou liées à une faute. Don ou contre-don du ciel.
Aujourd’hui on ne se demande plus si on peut échapper au destin dicté par les dieux, mais si le déterminisme social est une fatalité. Mais avec ce fatum post-moderne et sans dieu, nous avons gagné la culpabilité. Aide-toi le ciel questionne ces discours, médiatiques, politiques, économiques, qui justifient les inégalités sociales et en font un ciment pour la société. Comment des croyances sociales profondément ancrées font passer les inégalités sociales pour une fatalité ? Partant, comment ces inégalités cessent de nous révolter ?
Comment la croyance en un destin social nous enferme et conditionne nos rêves et notre vision de nous-mêmes, du monde ?


La fiction


Aide-toi le ciel a pour décor une grande ville, quadrillée de contraintes et balisée par des « itinéraires » qui organisent les déplacements collectifs. On suit les circulations des personnages à travers l’espace urbain, comme autant de petites épopées quotidiennes. Des voix diffusent à travers les hauts-parleurs des consignes et des messages galvanisants. La ville, avec ses césures et ses obstacles fonctionne comme une métaphore de la société, un espace stratifié et hiérarchisé. Se déplacer dans la ville c’est comme se déplacer sur l’échiquier social. Dans cette ville, une famille recomposée se trouve contrainte d’emménager dans l’appartement de l’ex-femme du père, qui vit avec son fils, en haut d’une tour dans le quartier de Vilvitrive. On suit les personnages dans la ville, dans leurs itinéraires, dans cet appartement où bientôt les tensions montent.
Dans l’espace-temps de la pièce, l’espace du mythe et l’espace de la réalité sont poreux. Les personnages mythiques endormis s’incarnent, les rêves deviennent réalité, mais aussi les cauchemars.
Dès lors, le mystérieux transbordeur fait son entrée dans l’appartement : la nuit venue, dans la salle de bains, il propose tour à tour aux membres de la famille d’échanger la part d’eux-mêmes porteuse du mal qui les ronge. Qui change son coeur, qui son cerveau, ses yeux… Ces échanges modifient leur perception d’euxmêmes, du monde, leur font apparaître de nouveaux possibles, mais déclenchent aussi des révoltes et des conflits inédits. Peu à peu le ciment social qui faisait tenir tout ce petit monde tant bien que mal dans une sorte de résignation collective se fissure. Les personnages dès lors ne peuvent plus supporter ni leur position sociale ni les tensions internes à leur famille.
Dans ce temps déréglé, l’espace intérieur, intime et familial devient également poreux à l’espace extérieur. La violence du dehors pénètre au-dedans de l’appartement, qui n’est plus désormais le cocon familial, l’ultime zone de repli, mais le microcosme qui reproduit et amplifie dans l’intime les conflits et la violence de la société.


Mettre en scène une réalité alternative


Cette porosité de dedans et du dehors, de l’intime et de la ville, de l’espace réel et de l’espace de la fantasmagorie guide le projet de mise en scène et le principe scénographique.


Ouvrir la scène
Sur le plateau, des îlots réalistes évoquent le salon ou la salle de bains de l’appartement, et les espaces de la ville : l’entrée des itinéraires, les transports en commun, le quartier des affaires…
Le texte en effet appelle à la fois l’espace intime, l’appartement famililal, et l’environnement urbain.
Je veux ouvrir la scène sur le monde du dehors.
Cette ouverture se matérialise par des portes dessinées par la lumière : les personnages se placent devant l’entrée des itinéraires marquée par un carré de lumière. La scène s’ouvre à la fois par la lumière et par l’environnement sonore. On passe d’un espace à l’autre, comme par glissements. Nous sommes attentifs aussi à la manière dont les corps traversent ces différents espaces.
Le travail sur le corps interroge également l’inscription du social et les relations de domination entre les personnages dans le corps.
Au fil de la pièce, lorsque le désordre survient au sein de la famille, les espaces tendent à se mélanger : la brutalité et la folie de l’extérieur pénètrent jusque dans la maison.La fin de la pièce s’ouvre sur un désir de liberté et de voyage : je veux aussi ouvrir dans l’univers confiné de l’appartement et de la ville la possibilité des grands espaces, une fenêtre ouverte sur le road trip et le road movie.


Faire surgir l’imaginaire dans le quotidien
Ouvrir la scène c’est aussi saisir l’intrusion de l’imaginaire dans le quotidien. Dans mon théâtre je veux faire surgir une autre réalité, une réalité alternative, où l’inconscient s’incarne, où l’univers mental des personnages prend corps et contamine le réel.
C’est ce décalage qui m’intéresse. C’est une réalité à côté de la réalité partagée, qui cohabite, qui interagit avec la réalité perçue par tous. Le transbordeur tout d’abord incarne cette réalité alternative lorsqu’il fait irruption dans l’appartement. Ce personnage amène une dimension fantastique dans la pièce.
Mais c’est aussi dans les séquences d’itinéraires que soudain la femme ou l’homme de la voix du hautparleur prennent corps et viennent dialoguer avec le personnage alors qu’il attend son train. Le basculement dans une langue poétique et le recours à la musique sont les supports de ce décalage qui travaille constamment la dramaturgie.

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