Marcel Aymé, (pour emprunter la formule d’Oscar Wilde) a l’art de parler légèrement des choses sérieuses. Sa plume au scalpel ignore la langue de bois, ce mal du siècle, bouscule le bien-pensant, se régale du politiquement incorrect. Relue à l’aune de notre actualité, sa parole est bienvenue, salvatrice, libératrice... Grâces soient rendues aux metteurs en scène et aux directeurs de théâtres qui depuis quelques années ont sorti Marcel Aymé de son purgatoire immérité, et avec quel succès !
Le hasard des rencontres et des propositions a mis plusieurs fois Marcel Aymé sur ma route d’actrice, et de metteur en scène. En 2009, au Studio-Théâtre de la Comédie-Française pour Le Loup, la saison passée au Vieux-Colombier avec la Tête des Autres, sous la houlette de Lilo Baur. Aujourd’hui, à l’invitation de Marie-Thérèse Roy, et de Delphine Guillaud, l’arrière-petite-fille de l’auteur, pour diriger «La Carte du Temps», adaptation d’une formidable nouvelle vitriolée dont Aymé avait le secret. De quoi s’agit-il? Dans un monde imaginaire (quoique...), un gouvernement a trouvé LA formule pour lutter contre le chômage : instaurer une Carte de Temps. Voilà donc les citoyens, vivants la moitié du temps, et l’autre moitié, plongés dans le néant.
De l’instant où la population n’existe que la moitié du temps, c’est mathématique, la courbe du chômage s’inverse drastiquement, c’est merveilleux, il suffisait d’y penser !
Sur le petit plateau du Théâtre Essaïon, pas de décor, seulement du son, des sons,

pour «faire décor». La musique et les bruits de ce monde au bord de l’absurde proposé par Marcel Aymé. Jean-Luc Ristord, avec lequel je collabore depuis Le Loup, signera donc une bande-son qui sera aussi une scénographie ! Les bruits de l’usine à «Maxibulles», si nécessaires à l’économie du pays, ceux de l’administration compliquée et paperassière qui pèse sur les citoyens, ceux de la brigade «anti-poésie» qui traque les rimeurs qui sortiraient du cadre imposé par l’État... Il y aura là un

petit employé scrupuleux et psychorigide, sa sœur rebelle et amoureuse d’un de ces poètes graine de terroriste, et une délicieuse pickpocket qui arrondit ses fins de mois en piquant les portefeuilles. Avec ces trois-là , comédiens, chanteurs, clowns sincères, nous avons tenté de créer un univers qui donnerait la main à la fois au film noir et au cabaret burlesque, et avec à cœur toujours de nous faire l’écho de la parole si culottée du grand Marcel : Parce qu’après tout, triturer les statistiques dans tous les sens pour essayer de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, ce n’est pas beaucoup mieux que d’instaurer une Carte de Temps!