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Toute la vie

+ d'infos sur le texte de Pascal Rambert
mise en scène Pascal Rambert

: Propos de l'auteur

Qu’est ce que c’est ? Qu’est ce qu’on voit ?


Avec ce nouvel objet, je continue à m’interroger sur le temps et son devenir scénique, en travaillant non plus sur son extension, sa dilatation infinie mais cette fois sur sa compression maximale : la vie de ah! est condensée dans un temps scénique d’environ deux heures, enfermée dans une boîte blanche qui, semblable à une grande page blanche en trois dimensions, devient l’endroit du début : commencement de la fable, entame de l’écriture…
Quelle écriture ? comment j’écris scéniquement, dans un espace-temps réduit, l’immensité de la vie d’une personne ? Le pari est beaucoup trop grand mais je le tente parce que cela touche directement aux préoccupations de l’écrivain qui prend le réel environnant, le transforme, le traduit... Ici, je cherche à le « concentrer » en n’en gardant que l’aDn pour ensuite y réinjecter la vie ou le sel des comédiens, danseurs, chanteurs : tout se redéploye alors, de l’intérieur vers l’extérieur de l’espace.
on assiste à une transmutation intégrale qui, depuis cette simple boîte blanche, nous conduit jusqu’à un espace vivant au sens plein puisque, pour dire Toute la vie - une vie qui dans son devenir s’interconnecte avec toutes les autres vies et devient « toute la vie » - on met en commun toutes les formes d’expression du vivant : mots inscrits dans les corps des 20 performers de ma compagnie ou des danseurs (dont quatre adolescentes de l’école municipale de Danse de Gennevilliers), musique lisible sur les visages de quatre jeunes enfants, membres d’un quatuor à cordes du conservatoire de musique edgar varèse de Gennevilliers, contorsions vocales du ténor michael bennett, langage des images enregistrées et/ou en direct, des lumières…


On assiste à un « précipité » de réel, un précipité d’humanité puisque c’est aussi son histoire, l’histoire de l’humanité, qui se raconte ici : la pièce se passe dans un futur proche (2010-2085) où cette humanité-là, modifiée par les transformations génétiques, s’interroge sur la nature de son identité, nouvelle et passée. on se questionne avec elle en suivant linéairement l’histoire de la vie de ah! avec son début, son milieu, sa fin, mais, à l’intérieur de ça, le temps est totalement démonté puisque des temporalités du passé et du futur de l’histoire font irruption en plein milieu du temps qui se déploie au plateau. Les transformations génétiques ont créé du temps dévergondé, « hors de ses gonds » comme dirait Shakespeare, où le soi-même, futur ou passé, des personnages surgit au présent pour leur demander des comptes. une telle collusion des temps secoue les membres du plateau et les fait, grâce à un rapport aux projections qui défilent sur les murs, remonter ou redescendre dans le temps pour accéder aux différentes images d’eux-mêmes.


C’est à la fois terrifiant et formidable : terrifiant dans le concret mais formidable parce que c’est aussi, tout simplement, ce qu’en tant qu’être humain, je vis tous les jours dans ma tête.
mon cerveau me permet constamment de repartir en arrière ou d’avancer très loin dans le futur, d’aller et de venir dans l’imaginaire, de voyager à l’intérieur du temps mais aussi à l’intérieur d’espaces différents. Finalement, je ne fais que mettre sur le théâtre l’intérieur du cerveau de ceux qui voyagent beaucoup, dans leur tête… avec leurs jambes… on suit le voyage de ah! d’un point de la planète à un autre – une rue de new York, un plan de désert, la mer – et au gré des territoires imaginaires de l’artiste. c’est en passant constamment du réel à la fiction, que ce personnage entre dans sa quête existentielle et c’est là que vient la question « qu’est-ce qu’être soi-même ? ».
ah! est ainsi amené à se parcourir lui-même, en rencontrant tous ces autres à l’intérieur de lui, toutes ces personnes qui l’ont traversé et qui le constituent. De cet individu unique s’ouvre donc tout un champ de possibles, de dimensions multiples : tout le monde, tout l’espace le joue, en montre toutes les facettes, Toute la vie. mon travail n’est pas pour autant d’essayer de donner un sens à la vie mais c’est de questionner l’absence de sens à cette vie et de voir quel sens de vie naît de cela.


Comment ça se fabrique ?


c’est un texte très parlé qui cherche à rendre compte de la langue parlée, comme je la travaille depuis plusieurs années : je ne cherche pas à faire un texte littéraire mais à en faire un qui parvienne à rendre l’énergie de la langue parlée. Finalement je remonte la courbe parcourue depuis toutes ces années : je suis parti d’un vrai travail sur l’oralité puis je suis passé par une langue plus travaillée, plus littéraire, plus foisonnante pour revenir finalement à mes premières amours dans la recherche de la langue, de l’oralité dans son volume, son énergie, ce qu’elle dit souvent hors du sens lui-même. Il s’agit pour moi d’être vraiment dans ce que la langue dit sans essayer, en tant qu’écrivain, de lui faire dire des choses pour faire passer un message mais au contraire de lui laisser ses lacunes, sa difficulté à dire, voire parfois sa totale incapacité à formuler une idée et d’être dans la suspicion vis-à-vis de sa capacité à donner une définition.


en plus de cette forme de langage, j’intègre au spectacle celui de la danse parce que c’est devenu pour moi une façon de raconter des choses au-delà des mots. J’ai intégré du langage parlé, celui de la danse contemporaine, j’ai toujours intégré le son aussi, tout comme la lumière, avec les choix que nous faisons avec Pierre Leblanc et qui ne sont pas des choix de théâtre, mais qui proviennent de tout un travail de réflexion sur ce qu’est l’éclairage, comment on peut éclairer aujourd’hui…Tout cela ce n’est pas par souci d’être à tout prix innovant, mais c’est pour ne pas se suffire de ce qui existe déjà et aller chercher devant soi du nouveau. J’ai devant moi tous les outils du vivant : la voix avec le chant ou le texte, le corps, la lumière, les images…, non pas pour faire un fourre-tout à la mode où l’on utilise tout en même temps mais simplement parce que tout cela fait partie de l’expression du vivant et qu’il est essentiel pour moi de créer des oeuvres avec tout ce que peut m’offrir le vivant. J’ai un souhait de rassemblement, de ne pas séparer le texte de la matière des corps mais de réussir à avoir une oreille pour chaque chose. c’est ce regard-là qui a pu me donner envie de travailler avec le quatuor d’enfants qui joue des pièces de bach parce que ce que je lis de bach se trouve sur leur visage plus que dans ce qu’ils jouent. c’est la mobilité de la musique qui est sur leur visage et qu’ils n’ont pas encore appris à voiler qui est pour moi la plus belle chose à regarder : sur la peau, sous leur peau. c’est justement ce regard-là qu’il m’intéresse de proposer aux spectateurs et c’est très important pour moi que chacun puisse ensuite verbaliser ce qu’il a vu, l’expérience qu’il a traversée.


Pascal Rambert
Propos recueillis par camille Louis

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