Un soir de semaine, deux amis échangent des banalités sur un canapé, le regard à la dérive sur les écrans de leurs téléphones. Ce pourrait être nous, vous, ici, n’importe où. Au dehors la crise gronde et l’homme et la femme débattent au sujet d’une recette de poulet. Malgré la léthargie ambiante, un feu couve dans cet appartement. L’implosion guette, le couple continue de parler. Et nous sommes pendus à ses lèvres.

La façon qu’a Lena Kitsopoulou de faire du théâtre n’appartient qu’à elle. L’artiste grecque, dont c’est la troisième venue à Saint-Gervais, ressent comme personne la vanité de nos destinées suburbaines et sait la répercuter dans ses spectacles hauts en couleurs et à l’humour corrosif. Mais The dullness of being (« La platitude de l’existence »), écrit, mis en scène et joué par elle-même, recèle aussi sa facette irradiante, à l’image d’une soirée rebetiko dans les bars enfumés du Pirée où se mêlent mélancolie et solidarité. L’égérie du théâtre athénien réussit un tour de force : produire une pièce mémorable, à la fois tendre et parodique, dérangeante et fascinante, à partir d’une situation complètement anodine. De la « post-comédie » humaine en somme.