: Note d’intention
« J’ai repensé à ce voyage au Vietnam que j’avais fait il y a quelques années pour Loin…. À ce
village nommé Lai-Châu, en passe d’être enseveli par les eaux. J’ai repensé à ces habitants qui,
quand on leur parlait de Lai-Châu, demandaient « lequel des deux ? » parce qu’une copie
conforme du village était en train d’être construite ailleurs pour reloger les gens.
Alors, j’ai pensé à ce que ça signifiait de voir disparaître les choses, disparaître les gens, de partir
et d’être séparé d’un amour.
J’ai pensé au film Welcome et à ce réfugié kurde qui veut traverser la Manche à la nage. J’ai pensé
à Still life qui traite de ces régions du monde englouties sous les eaux et d’une histoire d’amour
noyée dedans.
J’ai pensé aux réseaux mafieux et aux passeurs qui font miroiter aux exilés des lieux plus
désirables, des « ailleurs » qui, bien souvent, ne sont que fumée. J’ai pensé, comme ça, à Singin’ in the rain et à la magie nouvelle. J’ai pensé à la façon, sur le plateau, de créer des mirages, de jouer
des apparitions et des disparitions.
J’ai pensé à Maguy Marin qui a construit sa pièce Salves sur ce principe rythmique. À Ma chambre froide de Joël Pommerat et cette façon de virer vers le surnaturel, à Paradiso de Roméo Castelucci
avec son décor « à la Tarkovski », animé par les reflets lumineux créé par un bassin d’eau et qui
réussissait, je trouve, à évoquer des lieux troubles dont on sent qu’ils ont un jour été somptueux
mais qui sont aujourd’hui tombés en déshérence. J’ai pensé à ce qu’a écrit Emmanuel Carrère sur
le tsunami dans D’autres vies que la mienne et je me suis souvenu aussi qu’Aldo (Lee), qui était
avec moi à Lai-Châu et vient de partir en Chine rencontrer des gens directement touchés par les
bouleversements climatiques, était lui-même au Japon pendant le tsunami de 2011.
J’ai pensé que ce serait beau d’avoir une sorte de pluie tropicale pendant tout le spectacle.
J’ai pensé que ce serait vraiment compliqué d’avoir cette pluie.
J’ai pensé à Dominique Pitoiset qui a travaillé pour Le maître des marionnettes autour de cette
tradition vietnamienne de la marionnette sur eau, où les figures peuvent disparaître dans
l’élément. À cette noyade à laquelle j’ai échappé quand j’étais enfant et au fait d’avoir éprouvé
physiquement le potentiel destructeur de l’eau. À un exercice de danse buto qui propose de se déplacer comme si le corps était plongé dans une piscine et qu’aucune onde ne devait troubler la
surface.
J’ai pensé aussi à Northfork, un film assez mainstream sur une histoire d’inondation qui montre
bien, cependant, les répercussions jusqu’au plus profond de l’intime.
Et puis à l’illusion. Pas à de grands tours de magie, mais aux façons plus sourdes de leurrer les
gens.
Après, j’ai pensé à ce qu’il resterait de tout ce vrac à la fin. Des traces, sûrement.
Un mot que j’aime bien. »
Rachid Ouramdane
janvier 2012
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