: Présentation
« On cherche la faille dans le déroulement, l’autre
dans le retour de son semblable, le bégaiement dans le
silence du texte, le trou dans l’éternité, la faute peut
être libératrice.»
Heiner Müller
Quartett est, avec Hamlet Machine, la pièce la plus jouée de
Heiner Müller : un classique dans le répertoire
moderne du théâtre européen. Une pièce de virtuosité
pour deux comédiens de renom, une pièce dont la
recette est liée à la célébrité des acteurs. Dix ans après
la mort de Müller, ses textes meurent dans une
réputation consensuelle. Ils alimentent les moulins à
prières des universitaires et stimulent l'absence
d'humour de quelques congrès sur la littérature. À
l’image de la plupart des textes classiques, le théâtre les
célèbre régulièrement dans la plus parfaite
méconnaissance ; toujours à la recherche d’effets de
nouveauté déjà périmés, préférant vieillir le texte pour
en faire un soporifique.
Le Quartett de Müller vaut la peine d'être
redécouvert, il est sauvage, jeune et destructeur,
cruellement comique et troublant au plus haut point. Il s'inscrit en tous points dans la suite de Mademoiselle
Julie : deux textes qui mettent à plat sans pudeur la
structure des relations entre les sexes et qui tendent à
détruire les illusions. Les personnages de Müller,
comme ceux de Strindberg, sont fragmentaires, ou
plutôt, comme le dit Strindberg, composés de divers
lambeaux. Leur intimité : leur amour et leur vie
sexuelle s'élargit en guerre civile, en champ de
bataille. Les deux pièces mettent en jeu un théâtre de
regards, de mots, de contacts. Le drame se projette sur
la peau des partenaires. Le désir détermine les règles
du jeu. Madame de Merteuil et Valmont sont des
combattants, comme Mademoiselle Julie et son
domestique Jean. Et il s'agit du pouvoir en amour.
Une phrase de La Phénoménologie de l'Esprit de Hegel
pourrait en être l'indication scénique de ces jeux :
« La relation entre les deux consciences de soi est si
déterminée, que, par le combat à mort elles se font,
individuellement et réciproquement, la preuve de
leur valeur. [Par conscience de soi, il faut comprendre
un sujet féminin et un autre masculin, qui sont
conscients d'être en opposition en tant que femme et
en tant qu'homme. M.L.] Elles doivent mener ce
combat, afin d’élever la certitude d'exister pour ellesmêmes
à cette vérité d'exister pour l'autre et pour
elles-mêmes. » Ces textes ont en eux quelque chose
d'irrémédiablement méchant, comme toute vérité.
Ils cassent le jouet des autres. Il émane d'eux des
pulsions négatives qui sont nécessaires. Elles aident le
théâtre à revenir à sa place politique. « On cherche la
faille dans le déroulement, l'autre dans le retour de
son semblable, le bégaiement dans le silence du texte,
le trou dans l'éternité, la faute peut être libératrice. »
(Heiner Müller)
Quartett n'est pas un jeu hors de l'espace et du temps.
Le temps et l'espace sont définis précisément « Un
salon d'avant la Révolution française / Un bunker
d'après la troisième guerre mondiale ». Il s'agit donc
de lieux privés situés dans un laps de temps défini par
le déroulement de grands évènements historiques. Cet
espace et ce temps appartiennent au texte et au jeu.
Quartett ne fait pas partie du mouvement général
d’adieu à l'histoire. Quartett vit de l'histoire. De
l'éloignement de l'histoire, en tant que combat contre
l'écoulement du temps.
Dans le chef d'oeuvre de Oshima l'Empire des Sens, il y a
une courte séquence qui ne développe pas le combat
sexuel des deux protagonistes. Dans la rue, l'homme
passe, tête baissée et l'air dégoûté devant des enfants
qui acclament une troupe de soldats en marche.
Toutes les fenêtres de toutes les maisons sont ornées
de drapeaux japonais. Sans cette scène, le film se
réduirait à une très belle oeuvre pornographique.
Le projet Quartett était prévu en trois étapes. Y
participent : les comédiens Muriel Mayette et François
Chattot, le décorateur et éclairagiste technicien de
théâtre Yves Bernard, la productrice Véronique Appel
et Matthias Langhoff.
La première étape a duré quatre mois, soit du 15
janvier au 15 mai. Dans une salle de répétitions que
nous avons louée, nous nous sommes retrouvés
périodiquement, pour investiguer et analyser la mise
en jeu du texte, à la manière d’un atelier de création.
Nous y avons invité des artistes proches, des élèves, des
scientifiques à prendre part au travail. Ces invitations
n’ont pas été planifiées, elles sont nées au jour le jour
des besoins et de la curiosité suscités par la recherche.
Parallèlement, s’est élaborée l’idée d’un éventuel
décor. Un montage vidéo a été également construit :
un Quartett-commentaire qui éclaire le combat des
sexes à travers des images, moteur et refuge dans
l’histoire ; le désir de changer de sexe ; le viol et la
violence ; le masturbateur comme messager de paix…
Cette première étape s’est achevée par la présentation
en mai devant un public de professionnels invités, de
l’esquisse d’un spectacle.
La deuxième étape présente le spectacle (jeu, film,
décor, costumes et lumière) lors de cinq
représentations à Paris au Festival d’Automne. Le
théâtre du Conservatoire, où enseigne Muriel
Mayette, est un lieu idéal. Les représentations seront
publiques et gratuites. Elles offriront aux
programmateurs français ou étrangers l’occasion de
découvrir ce travail.
La troisième étape, l’exploitation du spectacle peut
ensuite se prolonger sur plusieurs saisons. Le décor
sera conçu dans un souci de mobilité, à savoir de
légèreté pour le transport et de facilité de montage.
L’un des intérêts prépondérants est de rencontrer en
France et ailleurs des spectacles et des compagnies qui
travaillent dans cette dynamique. Dans une idée
d’échange et de partenariat, nous souhaitons que la
Compagnie Rumpelpumpel, étant elle-même
responsable de son exploitation, soit à l’occasion en
mesure d’investir ses bénéfices dans d’autres
entreprises théâtrales.
Matthias Langhoff
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