: Rituel futuriste
une étrange cérémonie
Un soir d’avril dernier, dans une salle confidentielle
d’Anvers, au fond d’un petit passage
pavé, on put assister à une étrange
cérémonie. Assemblés là, nous étions une
petite quarantaine. On nous fit d’abord accéder
à une sorte de salon : amuse-gueule et
breuvages étaient joliment dressés sur une
table nappée de blanc, tandis que sous
vitrines, une insolite installation de blasons et
de trophées, de croquis et d’objets symboliques,
intriguait le regard. Était-on tombé par
mégarde dans quelque cercle ésotérique ?
Puis on nous fit descendre dans une salle en
sous-sol. On entra à tâtons, guidés par la
lumière d’une torche, dans une ouate brumeuse.
Autour d’une rampe fluorescente
ovale étaient disposées les chaises sur lesquelles
nous fûmes invités à prendre place.
Enfin vint le « spectacle ». Non pas à hauteur
de regard, mais en contrebas, dans une sorte
d’arène obscure où apparurent d’étranges
personnages, seulement éclairés par des
lampes comme greffées à leurs paumes de
mains. Une heure durant, on eut l’impression
d’assister à une joute mystérieuse, où la parole
proférée – entre considérations scientifiques,
philosophiques, morales, et des
bribes d’histoires plus triviales – se mêlait à
toute une héraldique de gestes et de
postures enchâssées dans une singulière
panoplie de costumes-carapaces. Ce « rituel
théâtral » (appelons-le ainsi) ne ressemblait
à rien de déjà-vu, à aucune forme déjà
éprouvée…
Wayn Traub achevait là un cycle de « performances
», au rythme d’une séance par
semaine, sous le titre générique d’ Arkiologi*.
Rarement le terme de « laboratoire » n’aura
autant convenu à une démarche artistique :
façon de concevoir la création comme acte
visionnaire d’une histoire encore jamais advenue,
remise en jeu de toutes les matières
susceptibles d’entrer dans l’alchimie d’une
composition scénique.
le filon d’un théâtre ritualiste, empreint d’allusions religieuses et de références légendaires
Wayn Traub n’en est certes pas à son coup
d’essai. Cet artiste flamand, auteur précoce
d’un Manifeste du théâtre de l’animalité qu’il a
décliné en quelques performances aussi
saugrenues qu’autobiographiques, a véritablement
fait irruption en 2002 avec Maria-Dolores, un spectacle totalement horsnormes
auquel ont succédé Jean-Baptiste,
puis Le Comeback de Jean-Baptiste (tous
présentés au Théâtre de la Ville), qui ont
creusé le filon d’un théâtre ritualiste, empreint
d’allusions religieuses et de références légendaires.
« Compositeur » autant que metteur
en scène ou chorégraphe, Wayn Traub y affirmait
un sens aigu du montage, où le cinéma
et la musique se mêlaient en d’hallucinants
labyrinthes narratifs.
Avec Arkiologi, toutefois, il semble que Wayn
Traub cherche à se libérer davantage encore
de toutes les techniques théâtrales.
Jusqu’alors, une fable – mêlant différentes
strates de temps, différents registres de récit,
de l’apparent documentaire à l’allégorie
légendaire – servait peu ou prou de « fil
conducteur ». La narration, ici, risque d’être
beaucoup plus éclatée. On devrait certes
pouvoir « reconnaître » quatre personnages
distincts. L’un, nommé « le professeur »,
devrait deviser sur les progrès de la science.
Une seconde créature sera identifiée comme
pratiquant la danse-thérapie : « en dansant l’animal, elle cherche à retrouver l’humain ».
Une semblable propension au rituel sera
incarnée par « un astronaute perdu depuis 40 ans »; tandis que le quatrième larron devrait
être « une psychologue qui est confrontée à elle-même».
un « rêve collectif » où il sera question de l’homme face à la nature, du sentiment de manque et de solitude
Mais « ces quatre histoires n’ont rien à faire les unes avec les autres », indique Wayn
Traub ; seul devrait les unir un « rêve
collectif » où il sera question de l’homme face
à la nature, du sentiment de manque et de
solitude qui semble croître alors même que
notre époque résolument technologique met
à notre disposition tous les moyens possibles
et imaginables pour communiquer.
loin des sentiers battus, « vers le noir, l’obscur, le mystérieux »
Entre mythologie et science-fiction, étonnante
symbiose d’une esthétique à la fois médiévale
et futuriste, Wayn Traub s’aventure loin
des sentiers battus, « vers le noir, l’obscur, le mystérieux ». Qu’aura-t-il gardé, au final, de
toutes les expérimentations menées à Anvers
dans son « laboratoire » hebdomadaire,
auquel furent conviés « vrais » scientifiques,
philosophes et artistes ? De quoi aura accouché
ce chantier d’une archéologie du
futur ? Il y a chez Wayn Traub un côté quête
du Graal, et il joue volontiers avec les signes
d’une telle ambition. C’est à cette aune, sans
doute, qu’il convient d’entendre son intention
de « réécrire l’histoire de la naissance du monde » : transformer la scène en espacetemps
d’une cosmogonie réinventée, faire
advenir un théâtre de l’inconscient où un
savoir alchimique pourrait redistribuer nos
perceptions en bouleversant le formatage
auquel elles sont soumises.
Chorégraphie sensorielle d’un genre inédit,
Arkiologi est porté par « l’impact émotionnel
et spirituel » de « tableaux vivants », motifs
sensibles d’un art empirique dont les figures
émergent comme les hiéroglyphes d’un
alphabet initiatique.
Jean-Marc Adolphe
* Cette série de performances a été produite à Anvers par le Toneelhuis, théâtre dirigé par Guy Cassiers, où Wayn Traub est artiste associé.
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