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Noces de sable

mise en scène Christine Soldevila

: Note de mise en scène

Sylvie Janin, la romancière qui embauche un jardinier pour en faire un personnage du livre qu’elle n’arrive pas à écrire, n’est pas qu’une araignée se nourrissant de la substance de celui qu’elle séduit : c’est une femme sensible dont la conscience est agitée de tentations contraires. Quant au personnage masculin, il est loin d’être seulement un bon bougre paumé qui se rebelle d’être manipulé, puis qui se gargarise de son importance nouvelle. C’est un être fin et lucide, ne cédant qu’aux illusions auxquelles il veut bien céder, parce qu’elles lui permettent de ne pas sombrer dans le désespoir.


Prologue, deux personnages suspendus entre la vie et la mort : au milieu de nulle part, un projecteur éclaire légèrement Sylvie, un verre rempli d’un liquide bleu, un barbiturique. « C’est beau ce bleu » dit Sylvie, ayant pris la décision fatale d’en terminer avec la vie, à cause de Pascal, l’homme qui l’a quittée et chez qui elle puisait son inspiration. Dans un autre espace du plateau, Bruno, planté là, parle à Christine au téléphone, « … Attends, Christine ! Si tu reviens pas avant le 1er juin, tu entends ? Tout est fini entre nous. Je divorce, moi ! Hein ? …» Christine, c’est sa femme, elle le trompe avec son patron, un riche homme d’affaires. Seul, désespéré, il décide lui aussi d’en finir avec la vie.


Mais, pour Sylvie comme pour Bruno, rien n’est définitif ; l’une se raccroche à la vie par un subterfuge de dernière chance, l’autre sera sauvé par son chien… C’est à ce moment-là qu’un fondu enchaîné ramène les personnages à la Vie. Voix off, musique de jazz, deux tabourets de bar, un rai de lumière de fin de matinée ensoleillée éclaire le café parisien où Sylvie attend. Bruno apparaît, largué dans cet univers qui lui est étranger. Sans conviction, il a répondu à l’annonce que la jeune femme a passée : « cherche gardien ou homme de ménage ».


L’écriture de Didier van Cauwelaert est très réaliste, c’est une écriture digne d’un scénario de film. C’est pour cette raison que j’ai souhaité transporter le réalisme du cinéma au théâtre. Plus nous avançons dans la pièce, plus la mise en scène bascule dans la vie, ainsi que le jeu des acteurs. Les jeux de lumières tentent aussi d’approcher la vérité, comme on éclaire un plateau de cinéma ; j’ai donc fait appel à un directeur de la photo qui a déjà conçu la lumière de plusieurs spectacles. Le jour et la nuit, dans la maison de Sylvie, sont amenés de l’extérieur : la baie vitrée s’ouvrant sur un horizon marin. La lumière est introduite par la porte, les fenêtres. Les personnages s’imprègnent de cette lumière et du climat du moment : orage, tempête, pluie, soleil. Illustration d’une ébauche de retour à la Vie.


La scénographie est minimaliste au début du spectacle, hormis la maison de bord de mer, où une imposante sculpture est souveraine du lieu. Elle est symbolisée, chez Didier van Cauwelaert, comme un troisième personnage : soit la femme, soit la mère, soit l’épouse absente. C’est une sculpture post cubiste, en tôle, imposante, effrayante, omniprésente dans la maison familiale. Les seins et le sexe sont vides : le père de Sylvie, sculpteur, s’est tiré une balle dans la tête après l’avoir terminée. « J’ai fini », c’est le testament légué à sa femme qui l’avait quitté. L’atmosphère sonore démarre la scène : un thème de jazz surgit d’une radio, musique qui apaise Sylvie et qui irrite Bruno. L’océan est omniprésent, jour et nuit, nuit et jour. Les jours se succèdent, et chaque jour qui passe est ponctué par des vagues. Le cri des mouettes annonce l’aube ; l’orage, la tempête, viennent balayer l’ébauche d’un jardin improbable, bâti sur du sable…


Didier van Cauwelaert traite d’un de ses grands thèmes, selon ses propres termes : la reconstruction d’êtres humains en difficulté. Ce qu’il me semble important de mettre en valeur, c’est justement comment ces êtres humains, issus de deux milieux sociaux tellement différents, se retrouvent à partager un mois de leur vie, pour trouver une issue à leur propre souffrance. Noces de sable n’est pas un boulevard, genre auquel souvent cette pièce est assimilée à cause de ses répliques drôles. Il m’a semblé évident d’en prendre le contrepied. Les aspects comiques sont amenés par les situations décalées, et non pas par un rythme théâtral conventionnel. Les acteurs ne jouent pas mais vivent, et le public, témoin de ce huis clos, assiste à une forme de reconstruction pour l’un et l’autre, bouleversante et surprenante.


La recherche de la vérité, un travail exigeant réalisé en toute confiance avec les acteurs, permet que Sylvie Janin et Bruno Bornsen existent véritablement au travers d’Elisabeth Annequin et Hervé Hague, les deux interprètes. Ce travail rend le texte très limpide, permet aux spectateurs de ressentir les contradictions intérieures des personnages, leurs ambiguïtés vis-à-vis de l’autre et d’eux-mêmes, de s’identifier et de retrouver une part d’eux-mêmes dans la romancière et le jardinier parachutés dans la vie, et abandonnés simultanément par pères, mères, épouse et amant. Néanmoins, la mise en scène s’attache à mettre en valeur les rebondissements et les suspenses qui retiendront l’attention du spectateur, au-delà même des simples renversements successifs des rapports de domination.


Noces de sable est une comédie dramatique au sens propre du terme : drôlerie et émotion sur fond de gravité.

Christine Soldevila

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