Ecrite en 1898, Les Boulingrin est la pièce la plus célèbre de son auteur. Elle met en scène une sorte de lynchage, celui de Monsieur des Rillettes, pique-assiettes célibataire. Celui-ci pense avoir rencontré en la personne de Madame et Monsieur Boulingrin, le couple le plus charmant qui soit. Invité à prendre le thé chez eux, il espère pouvoir profiter à très long terme de leur hospitalité. Le problème, c'est qu'au lieu de la réception mondaine à laquelle il s'attendait, il se retrouve plongé au coeur d'un film de Bergman. La situation conjugale des Boulingrin est catastrophique, et leur haine envers l'autre les rend impulsifs et brutaux. Des Rillettes, violemment pris à parti, sera humilié, frappé, pris en otage et échappera finalement de peu à l'incendie de la maison.

Interprétée dans un café, la pièce verrait son contexte légèrement modifié. L'idée serait de faire de Des Rillettes une sorte de SDF qui viendrait essayer de boire des coups gratis. La proposition de sortir Les Boulingrin du théâtre me semble juste par rapport au projet d'écriture de Courteline. Observateur avisé de la vie quotidienne, il était un habitué des cafés et des lieux publics parisiens. Il s'efforçait de retranscrire, dans des pièces souvent rapides, légères et féroces, les travers de la Comédie Humaine qui l'entourait. Replacée au coeur de la vie, je rêve que la pièce se débarrasse un peu des apparats encombrants du Vaudeville, et retrouve la brutalité et la cocasserie de ces moments où la tranquillité du réel bascule dans la folie. Ces fois où, bavardant paisiblement autour d'un verre, on s'est retrouvé spectateur d'un drame que personne n'aurait osé transposer au théâtre.

Rémy Barché