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Accueil de « Les Bas-fonds »

: Présentation

Si les Bas-fonds de Gorki prennent place dans un refuge social de la fin du XIXe où la misère économique et éthique bat son plein, les bas fonds de notre société, pour nous, aujourd'hui et dans notre microcosme culturel, ce sont les célébrités dépassées tentées vainement d'être remises au goût du jour depuis des décennies, et encore à l'heure actuelle, et qui reviennent agoniser dans des émissions de variété française fascinantes dont l'audimat ne cesse de croître.
C'est à partir de cette réflexion que nous avons fait le choix de resituer le contexte de la pièce de Gorki dans un studio télévisé, en 1981, précisément à l'arrivée de François Mitterrand à la tête de la République Française. En effet, dès les premiers mois qui suivirent son élection, le gouvernement sous Mitterrand lance une rafle médiatique, veillant à effacer toutes traces de l'audiovisuel mit en place par Giscard d'Estaing, dans l'espoir de donner un nouveau souffle à la télévision et d'imposer la bien-pensance socialiste au sein de la diffusion, dans le but d'atteindre une « renaissance culturelle » en remplaçant les émissions populaires par des productions plus intellectuelles : opéras, grands classiques du théâtre, art contemporain.


"Video killed the radio star", titre phare de l'époque 80s, symbolise le début d'une nouvelle décennie, et la mort d'une forme médiatique pour laisser place à « la voie de la modernité ».


A travers les thématiques de la lutte des classes, de la domination par l'argent, tout droit sorties du réalisme socialiste russe, nous traiterons les rapports de force et de pouvoir au sein des institutions médiatiques, qui sont, encore aujourd'hui, au cœur de cette machinerie. "Les Bas-Fonds" retraceront la lutte, mais avant tout la survie de deux classes sociales. L'une aisée, celle des producteurs dominants et surpuissants qui écrasent l'autre afin de préserver leur notoriété, leur place économique importante au sein du système de l'audiovisuel. Et l'autre, celle des marginaux exploités qui bravent le désespoir, les désillusions, brisés et marqués par leur sombre vie, pour laisser une trace quelque part, et ici, rester exposés dans la vitrine de la télévision.


Nos Bas Fonds représentent un monde qui s'effondre. C'est tout un pan de la culture populaire balayé, exclu de son propre foyer, qui tente de subsister, qui subit sa déchéance. Aussi, nous souhaitons interroger non pas le rôle des médias, mais son fonctionnement et toutes les problématiques qui en découlent. Car, politique de droite ou de gauche, régime démocratique ou totalitaire, qu'importe l'époque, les médias et plus particulièrement la télévision ont toujours été un outil au service du pouvoir, à la frontière d'un autoritarisme exploitant, régit par des rapports de domination et d'argent, afin de manipuler l'opinion publique.


Est-il possible de cautionner l'asservissement de l'être humain, sa mise en pâture, la colonisation de sa santé physique et morale, au service d'un profit toujours plus grand, pour animer les foules autour d'une illusion ?
Mais est-ce une raison légitime pour étouffer toute une culture du divertissement et du show-business et, d'imposer de manière tout à fait despotique un contenu audiovisuel ?...


Pour ne pas vivre seul, ou pour vivre, simplement, des marginaux, chez Gorki subissent l'épreuve du temps. La vie leur a passé dessus, et ils meublent les jours qu'ils leur restent. C'est chez chacun de ce personnages que nous avons trouvé écho avec des figures emblématiques qui constituent l'imaginaire commun du paysage de la variété populaire française. Non pas caricaturées ou imitées, mais bien appropriées, nous nous appliqueront à trouver la part de sincérité qui se cache derrière ces archétypes, afin de rendre au texte de Gorki et à notre propos toute sa profondeur.


Tourbillonne gramophone et bâillonne mon ennui. A travers l'esthétique pailletée, artificielle de l'ambiance studio télévisé de la fin des années 70, les personnages noient leur ennui, leur chagrin, déambulent, se chamaillent et se cachent derrière l'image du conte de fée que le studio offre au spectateur quand résonne le Direct dans 5,...4,...3,...2,... Boules à facettes, spots colorés, costumes éclatants, ponctuent l'espace scénique et dénotent avec tout le matériel technique, et la multitude de télévisions à écran cathodique qui témoignent de la décadence d'une ère, et de l'absurdité de ce joli manège.


Il s'effondre au sol et le play-back continue. Elle souffre, elle pleure, elle porte le numéro 8 lorsqu'elle est appelée sur l'estrade et le regard livide elle assume son tour de chant lorsque la musique est lancée. La journée se termine et le lendemain c'est au numéro 9. Les producteurs, eux, serrés dans leur smoking noir s'agitent entre les câbles et les caméras et tentent de tirer leur épingle du jeu. Celui à la caméra fait partie du décor. Il filme cette mascarade. Il la retranscrit sur les écrans. Il exhibe ce que l'on veut montrer, juste ce que l'on veut montrer. Mais le spectateur, notre spectateur à nous, voit tout. Les coulisses et l'envers du décor, le vrai et le faux.


Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous. Aussi, c'est autour de tout un travail de dramaturgie prospective que nous avons construit le corps de notre mise en scène. Les recherches biographiques que nous avons effectuées nous ont souvent mené vers les chansons. Les textes et les interviews se croisent et en disent beaucoup sur les figures dont nous nous sommes inspirés pour construire les personnages. Scènes – play-back – scènes - extraits d'entretiens – scènes- chorégraphie - scènes, c'est par cet équilibre déroutant que nous animeront le texte de Gorki.


Dans ce studio de télévision aux apparences féeriques, outre les sequins et les faux semblants, exploitants comme exploités, producteurs comme figures emblématiques, propriétaires comme réfugiés chez Gorki, les personnages tentent de survivre, s'ils ne se laissent pas mourir.

Marthe Sarafis-Charmel & Alexandre Thoraval

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