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Le Square

+ d'infos sur le texte de Marguerite Duras
mise en scène Didier Bezace

: Note d'intention

Marguerite Duras, les trois âges.


Il faut d'abord noter que, comme cela arrive pour beaucoup de grands écrivains - et il est évident que M. Duras est un de nos plus grands auteurs contemporains - leur notoriété et leur omniprésence dans le champ médiatique sont suivies, après leur disparition sinon d'oubli, de silence, une sorte de mise en veille (qui n'empêche d'ailleurs pas la progression des tirages et des traductions, on traduit Duras dans le monde entier, son œuvre vient d'être éditée à La Pléiade) on ne les entend plus et on parle moins d'eux, sauf aux occasions anniversaires ; leur absence renvoie à leur œuvre qui patiente dans les cœurs et les esprits comme un patrimoine acquis ayant l'éternité devant lui et plus de vraie urgence.
C'est un peu aujourd'hui le cas de Marguerite décédée en 95 ou 96 ; on sait son importance mais elle n'est plus là pour intervenir de sa parole péremptoire dans le contexte de nos vies immédiates, on se demande d'ailleurs ce qu'elle exprimerait de cette réalité parfois désolante qui constitue l'existence française des treize premières années du nouveau millénaire, aurait-elle aimé l'activisme nerveux de N.Sarkozy malgré sa « conscience de classe », aurait-elle pris fait et cause pour S.Royal, F.Hollande, serait-elle allée à la rencontre des ouvriers lorrains dépossédés de leur travail et de leur culture, aurait-elle prêté sa plume, comme elle l'a fait à plusieurs occasions et de manière imprévisible au journal Libération pour un commentaire inattendu sur l'affaire d'Outreau ou un autre de ces faits divers tragiques qui tissent le coton de notre actualité ?
Marguerite s'est tue, elle nous manque, sa folle sagesse, son insatiable curiosité de la vie, des gens, de la politique, de l'art ne viennent plus perturber les idées raisonnables avec lesquelles nous appréhendons le réel. Il reste l'œuvre, elle est immense, il me semble que la scène peut - doit - à nouveau lui rendre justice, en partie du moins, et nous permettre de retrouver l'univers d'une auteure qui, nous parlant d'elle, nous parle toujours de nous.
La trilogie dont nous rêvons - qui verra ou non le jour - permettrait certes ce voyage mais elle a ceci de particulier - c'est ce qui justifie l'intitulé de ma note - que la nature des textes envisagés nous offre un parcours dans le temps, de la vieillesse à l'enfance ou l'inverse selon l'ordre dans lequel on envisage de les monter. Peu importe d'ailleurs car chez Marguerite il y a toujours au cœur de l'écriture, dans le regard qu'elle porte sur les choses de la vie, à la fois la juvénilité d'une enfant et la tragique maturité de la vieillesse, une expérience des âges simultanée. De « Savannah Bay » à « Marguerite et le Président » en passant par « Le square » ce sont trois âges d'une même personne dont l'intense acuité vient éclairer la vie intime et l'Histoire.


La vieille dame de Savannah joue et déjoue sa mémoire dans le temps d'une représentation théâtrale elle-même fantomatique, la jeune bonne du Square joue et déjoue un avenir qu'elle ne peut envisager sans la certitude de son existence préalable (« je mange monsieur, je mange beaucoup afin de grossir pour que l'on me voit ») ; la petite fille des conversations avec Mitterrand - puisque c'est ainsi que j'ai construit et distribué le personnage de « Marguerite et le président » - joue sa candeur, feinte ou réelle pour déjouer la parole et les (relatives) certitudes de l'homme politique qu'elle admire, flatte et taquine tour à tour. Trois âges, trois visages, trois écritures différentes qui n'en sont qu'une parce qu'on y repère facilement les fondements d'un seul geste créatif dont la nécessité est avant tout, en écrivant, de s'obliger à vivre. Un mélange d'humour (elle en avait beaucoup), d'étrangeté, de radicalité péremptoire, un plaisir et la douleur d'une blessure secrète jamais guérie que les trois personnages partagent à des degrés divers et qui se font écho.
Sur le plan scénique, si l'on réfléchit à la réalisation d'un tel parcours il est évident que l'espace scénographique doit pouvoir rendre compte de cet « emboîtement », du jeu en écho que les pièces créent entre elles, il faut une « machine à jouer» qui permette à chaque univers d'exister pour lui même tout en invoquant les deux autres. Il en est de même pour les costumes, le son, la lumière, la scène est un monde à transformation dont, à travers trois femmes de fiction et d'âge différent, Marguerite est le personnage principal.
Il faut noter enfin que les trois pièces sont trois duos dont l'enjeu dramatique est la parole, parler permet de vivre un peu plus, un peu mieux (« on parle n'est-ce pas monsieur ... » dit à plusieurs reprises la jeune femme à son interlocuteur dans « Le square »), la parole, si on lui permet de creuser le sillon de nos existences, de radiographier nos sentiments contient la promesse d'un futur possible, à construire.
Autrement dit les mots font vivre et c'est l'action primordiale du théâtre de Duras ; nul doute que le pari d'un tel voyage dans ses mots et sa pensée vaille d'être tenté.

Didier Bezace

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