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: Entretien croisé Daniela Labbé Cabrera et Cécile Coustillac

D'où vous est venue l'envie de mettre en scène Jean-Luc Lagarce ?


DLC : Je faisais partie du comité de Lecture du Jeune Théâtre National et pour “l’année Lagarce” nous avions décidé d’organiser une soirée autour de son écriture. J’ai commencé à lire les “trois récits” et j’ai tout de suite senti que c’était cette part là de l’écriture de Jean - Luc Lagarce qui me touchait le plus, dont je me sentais le plus proche. Cette écriture sans personnages, presque de l’ordre du témoignage, qui devient de plus en plus épurée au fur et à mesure des récits. J’ai tout de suite décidé de travailler sur “l’Apprentissage”, j’avais été frappée par une immense pudeur qui se dégageait de ce récit, comme un aveu sur la condition humaine face à la maladie. L’idée de le “jouer” à ce moment-là me gênait, et d’une manière très instinctive j’ai senti que je voulais en faire un film, un petit court, avec une voix off qui raconte. L’idée que ce soit une voix de femme me plaisait car elle empêchait toute identification : et même si en réalité ce récit est romancé, la part autobiographique me paraissait rejaillir dans chaque page et je l’ai volontairement considéré comme un témoignage. J’ai fait la voix off et j’ai rêvé à un scénario fait de sensations, d’impressions, comme un voyage intérieur que je percevais derrière les mots. C’est ainsi que cela à commencé : un petit film de 13 minutes tourné en une semaine puis monté en dix jours avec tout le matériel professionnel nécessaire. A la suite de cela est apparu le désir et la nécessité de continuer à travailler sur ces textes, mais cette fois par le biais du théâtre. Et j’ai demandé à Cécile Coustillac de mettre en scène avec moi ce deuxième volet.

Pourquoi avoir décidé de faire jouer ce spectacle par une femme et encore seule en scène?


DLC: Je voulais essayer de travailler avec la même pudeur, la même intériorité que dans le film : dans le récit il s’agit d’une personne seule qui parle, le narrateur, il raconte au passé son histoire. Cela paraissait évident que si « Le bain » était la continuité de « l’apprentissage » il fallait une même voix. En même temps, cela m’a posé question, le fait d’être une femme, car dans « Le bain », il s’agit explicitement d’une histoire d’amour entre deux hommes. Mais jusque là je m’étais éloignée du réalisme et de l’identification. On a donc décidé que ce serait une narratrice qui raconterait cette histoire. Une même voix pour ces deux récits. J’avais aussi un rapport très intime, une histoire personnelle qui faisait que ces textes résonnaient particulièrement fort en moi ; cela paraissait donc évident, étant comédienne que je porte cette parole. Nous avons considéré cette histoire comme une histoire universelle, qui concerne autant les hommes que les femmes.

Comment avez vous appréhendé le travail sur ces textes ?


DLC : Comme des témoignages. J’ai cherché cette intimité-là, cette pudeur, cette simplicité aussi de la parole : parler, simplement, être dans une grande proximité avec le public. Nous nous disions qu’il fallait “parler à l’oreille du spectateur”.
CC: Oui, nous avons cherché une forme d'évidence, un rapport à la parole « non théâtral »... Cependant, malgré la simplicité apparente, « Le bain » n'est pas un récit linéaire, il y a des retours en arrière, une structure, une langue. Il nous a fallu en trouver le rythme, le souffle, les mécanismes de pensée, le mouvement... Comment la mémoire se cherche, comment les paradoxes se nomment, comment l'émotion affleure au coeur d'une écriture tenue, pudique. Trouver la précision.

La vidéo est très présente dans votre spectacle, à quelles fins l'avez-vous utilisée ?


DLC : Comme un partenaire de jeu. Dans cette histoire il y a un fantôme : l’absent, celui qui n’est plus. C’est avec cette absence là qu’il fallait jouer. Et la vidéo joue ce rôle, mais pas seulement. Elle est également lieu de sensations, impressions, comme une fenêtre ouverte sur l’inconscient du narrateur. Mais c’est plus proche du « cinéma » que de la vidéo à proprement parler. Il n’y a pas « d’effet vidéo », c’est très simple, très ponctuel aussi. La vidéo n’est pas là en permanence, c’est très épuré : ce sont des petits surgissements d’images, comme sur l’écran que l’on a dans la tête lorsqu’on rêve éveillé, lorsque la mémoire surgit. J’avais également travaillé avec le metteur en scène hongrois Arpad Shilling peu de temps avant et sa recherche sur l’intime et l’imaginaire m’avait beaucoup inspirée. Nous avions cherché à développer une dimension cinématographique dans le théâtre, nous parlions beaucoup de « cet écran que l’on a dans la tête » et de cette phrase de Tchekhov qui à été au fondement de notre travail : « Il faut peindre la vie non pas telle qu’elle est, mais telle qu’on la voit dans nos rêves ».



Quelle est la place du son et de la musique dans votre projet ?


DLC : Comme des sensations, des souvenirs, des atmosphères qui jouent un rôle dans le surgissement de la mémoire, le souvenir. Une part d’inconscient, là aussi.


CC : Les sons du spectacle, la plupart du temps, ne sont pas illustratifs et nous voulions que l'on puisse presque se dire, par moments : est-ce que c'est dans le spectacle, dans ma tête, ou dehors? De cette manière, le spectateur est plus actif et le lien qu'il tisse avec ce qu'il voit plus personnel, libre d'interprétation.


Comment avez vous travaillé la lumière ?


DLC : Comme des petits de rayons de soleil qui traversent l’espace de part en part, et s’obscurcissent. Comme lorsque un nuage passe. C’est toujours en relation avec l’écriture, la pensée de l’auteur : par exemple quand la pensée s’ouvre, s’éclaircit, la lumière aussi ; lorsque au contraire elle se concentre, fait un « zoom », la lumière aussi se focalise sur un point. On a essayé d’être proche du cinéma là aussi avec le peu de moyens que l’on avait. On utilisait beaucoup le mot « zoom » par exemple, comme si on pouvait faire disparaître l’espace tout autour, puis le voir réapparaitre.


CC : Parfois aussi ces tâches de lumière n'englobent pas forcément la comédienne ou les objets dans leur totalité, parfois elles viennent juste taper sur un coin, presque comme si c'était par hasard. Se tisse alors un réseau de détails pris dans ces tâches de lumière, qui prennent de l'importance et nourrissent l'imaginaire. Vous abordez des sujets difficiles, souvent tabous, comment les avez vous traités?


DLC : Simplement. La mort fait partie de la vie. Et puis, c’est un sujet auquel nous sommes tous confrontés un jour ou l’autre dans notre vie : accompagner quelqu’un que l’on aime et qui est sur le point de mourir. C’est difficile, cela met l’être humain face à une quantité de défis : la peur, le courage ou le manque de courage, l’angoisse, la nécessité d’être là et en même temps le désir de fuir, la culpabilité de ne pas être assez là… La confrontation à la mort de quelqu’un que l’on aime nous renvoie forcément, consciemment ou inconsciemment à notre propre mort, la conscience qu’un jour ce sera notre tour : c’est une expérience essentielle, redoutable, une sorte de miroir. Lagarce évoque toutes ces questions a travers le simple constat de l’expérience d’un homme. Et en même temps il y a ce « bain » qui est évidemment comme un rituel de passage ; on ne peut s’empêcher de penser à l’eau originelle dans le ventre de notre mère et à cette eau du bain, comme l’eau qui permet le passage « de l’autre côté du miroir ».


CC : Ce qui est beau dans « Le bain », c'est que c'est avant tout une expérience intime, absolument pas univoque. Lagarce est confronté à la mort, à la maladie (le sida), au corps meurtri de l'autre mais c'est aussi un récit d’amour, où il est question de joie, de beauté. C'est dans cet inouï-là que nous avons plongé et que nous avons essayé de raconter : « Ce fût difficile, difficile et impressionnant, et encore, aujourd'hui, le souvenir que j'en garde, comme un grand bonheur, un des derniers moments, temps de bonheur, qui m'ait été donné. » Il y a aussi beaucoup de sensualité dans le spectacle, dans le rapport de la comédienne aux objets, dans les images qui témoignent aussi d'une force de vie au sein même de cette expérience qu'est l'accompagnement d'un proche dans la mort.

A qui s'adresse votre spectacle ?


DLC : A toutes les personnes qui sont prêtes à faire un voyage à partir de ces sujets. Je pense plus particulièrement aux adolescents qui se questionnent déjà sur ces sujets et qui n’ont que peu de réponses. Ce sont des sujets entourés de silence. Je pense aussi beaucoup au personnel hospitalier qui travaille au quotidien dans les soins palliatifs, par exemple, et qui est confronté chaque jour à ces questions.


CC : A tous. C'est un texte universel. L'amour, la mort nous concernent tous et le texte de Lagarce ne pose aucun problème de compréhension en particulier.

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