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Année zéro

mise en scène Judith Depaule
Création à partir des textes Blackout de Nanni Balestrini, La Violence illustrée de Nanni Balestrini,

: Présentation

Faire œuvre d’historien ne signifie pas savoir « comment les choses se sont réellement passées.»
 Cela signifie s’emparer d’un souvenir tel qu’il surgit à l’instant du danger.

- Walter Benjamin cité par Nanni Balestrini


Année zéro est une proposition de spectacle autour de l’œuvre de l’artiste italien Nanni Balestrini, d’après le poème Blackout, des extraits du roman La Violence Illustrée, ses œuvres plastiques et des propos filmés de l’auteur (recueillis pour l’occasion).


Balestrini a su traduire les tensions qui traversèrent l’Italie après 1968 dans son écriture, comme dans sa production plastique, profondément traversées par le politique aussi bien dans leur contenu que dans leur forme. Réinterrogeant le rapport entre langage et réalité, il fait violence aux mots pour mieux rattraper le réel. Il recourt aux techniques du cut-up (découpage), du fold-in (pliage), des permutations, de la répétition et se libère des signes de ponctuation. Dans ses compositions plastiques, le mot est pris pour matière comme chez les Dadaïstes ou les Lettristes (voire notamment Paysages verbaux, Colonnes verbales, Avec les yeux du langage, Langue fleurie…). Prenant son inspiration dans le tumulte des conflits sociaux, Balestrini arrive à insuffler à son écriture et à ses collages l’énergie de la contestation collective.


C’est cette vitalité structurelle que la mise en scène va chercher à restituer pour faire entendre les voix des années de plomb, sous forme de pièce poétique, musicale et visuelle, s’apparentant à un oratorio politique, qui hormis la musique, puise uniquement dans l’univers de Balestrini et célèbre la nécessité du verbe.


RAPPEL HISTORIQUE


En Italie, sur fond de guerre de Vietnam, la révolte étudiante, initiée en 1967, due à la massification scolaire et à la hausse des effectifs, fit la jonction avec la contestation ouvrière. « L’Automne chaud » des usines en 1969 suscita plus de 8000 inculpations. Les modes ordinaires d’action militante contre l’exploitation furent délaissés au profit de formes de lutte illégales : occupations d’usine, séquestrations de cadres, sabotages. Premier d’une longue série de « massacres d’État » en réponse aux troubles sociaux, l’attentat de la Piazza Fontana à Milan en décembre 1969, agit comme un révélateur pour de nombreux militants. Certains groupes, comme Lutta Continua ou Potere Operaio, issus de l’opéraïsme, choisirent la résistance légale, d’autres, comme les Groupes d’action Partisanes fondés par l’éditeur Giacomo Feltrinelli, puis les Brigade Rosse, la lutte armée. La radicalité des luttes ouvrières persista jusqu’en 1973. Suite à un nouveau projet de réforme universitaire, la rébellion étudiante reprit en 1977 avec le mouvement autonome. Les Brigades Rouges virent le jour en 1970. Hormis des opérations d’exaction et des incendies, elles trouvèrent leur mode opératoire avec la « mise au pilori », en enlevant, séquestrant, blessant (« jambisation ») et assassinant des hommes de pouvoir. Après 1973, les groupes d’extrême gauche durent changer de stratégie et rompre avec le Parti Communiste Italien (PCI) qui avait abandonné l’idée d’un coup d’État pour se rapprocher du parti de la Démocratie Chrétienne (DC). En 1978, alors que la DC et le PCI s’apprêtaient à former un gouvernement de «compromis historique», les Brigades Rouges kidnappent Aldo Moro, président de la DC. Sa mort, au bout de 55 jours de réclusion et de négociations vaines, consacra la fin d’une bataille.


BLACKOUT


Membre de Potere operaio et d’Autonomia operaia, Balestrini, comme une soixantaine d’intellectuels et d’ouvriers, est accusé en 1979 par le juge Calogero d’avoir organisé un vaste mouvement au sein des universités et des usines poussant à « l’insurrection armée contre l’Etat » et d’avoir participé à l’assassinat du président de la Démocratie chrétienne, Aldo Moro. Le mouvement autonome est suspecté d’être le « cerveau » des Brigades Rouges. Balestrini échappe à l’arrestation en traversant le Mont Blanc à ski et se réfugie en France, où il vit pendant 7 ans, protégé par la « Doctrine Mitterrand » avant d’être totalement acquitté et de retourner dans son pays.


Balestrini a souhaité témoigner de ces années de contestation, portés par des mouvements nés en 1968 et criminalisés par le pouvoir, dans un vaste poème épique structuré en 4 parties, tel un ultime cri de rébellion et d’espoir :



I – a loss of memory of an even or fact (la perte de mémoire d’un évènement ou d’un fait)


TRANSFORMATION


II – the extinguishing of ail stage lights to end a play or scene (l’extinction des lumières défaillantes pour clore une pièce ou une scène)



INSTIGATION



III – suppression censorship concealment etc. (suppression, censure, dissimulation, etc.)



PERSÉCUTION


IV- a momentary laps of consciousness or vision (un instant momentané de conscience ou de vision)



INHIBITION


L’auteur y décline 20 évènements qui sont autant de sources différentes, textuelles ou photographiques, en 49 mouvements selon un schéma combinatoire très rigoureux, pour reconstituer la complexité de l’époque et la multiplicité de ses voix.


LA VIOLENCE ILLUSTRÉE


Ce roman, en vers libres, comme son titre l’indique, est une sorte de traité sur la violence, contenue dans chaque individu et dans la société, sous toutes ses formes : politique, économique, sociale, urbaine, familiale, physique, existentielle… Il décline 10 épisodes qui donnent à entendre des consciences, des idéologies et des langages différents : « Déposition », « Description », « Déduction », « Dissertation », « Divagation », « Déportation », « Déclaration », « Documentation », « Direction », « Démonstration ».
L’illustration de la violence vécue au quotidien dans ces années de crise passe en premier lieu par une violence faite à la langue dans son agencement et son apparente déstructuration. En guise de préface, sans sa « Lettre à mon ignare et pacifique lecteur », l’auteur suggère : « ... si par hasard un jour, il t’arrive de ressentir une soudaine et irrésistible impulsion à tout casser, ne serait-ce que pour une fois seulement ne pas te retenir, laisse sortir les tonnes de violence inexprimées qu’au long de tant d’années tu as avalées et envoyées à ton pilon intérieur. »


MUSIQUE / ONDES MARTENOT


Les ondes Martenot sont un instrument électronique inventé par Maurice Martenot en 1928. Le premier modèle était actionné « à distance » à l’aide d’un câble et d’un jeu de poulies. Il faut attendre plusieurs années pour qu’il soit doté d’un clavier. Ce clavier, flottant, permet des variations microtonales, il est complété d’un dispositif formé d’une bague actionnant un ruban qui, en se déplaçant au-dessus du clavier, permet un jeu en glissando. Il offre une grande variété de timbres par l’adjonction de diffuseurs (haut-parleurs spéciaux, munis de ressorts réverbérants ou de cordes sympathiques). L’instrument a été perfectionné par son inventeur jusqu’à sa mort en 1982 et a suscité un vaste répertoire (Darius Milhaud, Olivier Messiaen). Les ondes Martenot font l’objet d’un enseignement officiel au conservatoire de Paris depuis plusieurs décennies.


La musique alterne un jeu monodique et polyphonique grâce à un programme informatique (Max MSP), accompagne les voix sonorisées, ponctue le texte découpé en quatre mouvements musicaux (allegro, andante, minuetto, rondo) et génère le comportement de la vidéo.
 Elle rend également hommage au compositeur Demetrio Stratos, connu pour avoir été le chanteur du groupe de rock progressif Area, très apprécié des jeunes Italiens de gauche, faisant office de « bande son » du mouvement contestataire. Dans Blackout, Balestrini évoque la disparition brutale du musicien en 1979 et le grand concert organisé à sa mémoire dans le stade de l’Arena de Milan.

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