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La Tour

+ d'infos sur le texte de Gérard Watkins
mise en scène Gérard Watkins

: Présentation

Dans le mythe de la tour de Babel, l’homme est décrit comme s’étant détourné de lui-même, de son intériorité, de son Orient, du noyau fondateur divin ; il s’élance dans une plaine appelée Shinear, qui signifie Dans la nouvelle tour, l’architecture est la guerre faite au « différent » , les pierres sont nos propres os et le mortier est notre propre sang. Le grand assassin se dissimule derrière le grand architecte (qui ne se donne pas le nom de « Dieu » parce qu’il ne veut pas pêcher par fausse modestie). Dans le récit de la Bible, le dieu chrétien châtie l’arrogance des hommes en leur imposant la diversité. Dans l’histoire moderne du pouvoir, dieu n’est rien de plus que l’agent des relations publiques de la guerre (qui n’est moderne que par le nombre de morts et le volume de destruction qu’elle réclame à chaque minute).
Peu importe que nous nous en rendions compte ou non, le pouvoir construit et impose une nouvelle géographie des mots. Les noms sont les mêmes, mais ce qu’ils désignent a changé.C’est ainsi que l’erreur devient doctrine politique et la vérité devient hérésie. Le « différent » devient maintenant le « contraire », l’« autre » est l’« ennemi ».
La démocratie est l’unanimité dans l’obéissance.
La liberté se limite à celle de choisir la façon de cacher notre différence. La paix est la soumission passive. Et la guerre est maintenant une méthode pédagogique d’enseignement de la géographie.


Sous-commandant Marcos




L’histoire



Sur la dalle de béton coulé s’édifie l’époque nouvelle. Le projet architectural peut enfin rassembler le monde dans « La Tour ». L’architecte a tout prévu. Mais son incroyable idée de prévoir un aéroport dans la tour est jugée trop dangereuse. Alors elle est renvoyée. Il n’est pas simple d’édifier un monde nouveau. Il faudra bien s’entendre et que tout le monde y trouve sa place. Du moins que chacun soit assigné à une place. Il ne faut oublier personne. A tous les étages, on accueille, on rassemble, on organise pour le bien collectif. La vétérinaire s’affaire à épouser le candidat. Le candidat s’affaire à son devenir présidentiel. Le conseiller veille à la bonne tenue des comptes et de la pensée. Sans oublier les artistes. Il y a bien le souci des sans-papiers, mais on devrait bien arriver à les caser comme les autres finalement. Que la tour soit prête à rejoindre le ciel. Oui, mais au bout du compte, que peut encore avoir à imaginer un état si prospère ? Le conseiller doute et trouve sans mal sur son chemin l’âme malheureuse prête à gripper la machine. Vient alors le temps de la chute de « l’époque édifiante ».


Sophie Courade




Nous sommes là autour d’un trou.
Une tour se dresse et se tend vers le ciel.
Conçue pour rassembler, protéger, défier.
Architectes désavoués, artistes bipolaires, commissaires humanistes, politiciens cathares, transfuges fantômes, vétérinaires en robes noires, transformistes avec textes mal écrits, demandeurs d’asiles en villégiature, administrateurs aux yeux crevés, gravissent les étages, pris d’une frénésie ascensionnelle.
Une parabole sur le toit de cette fable.
La tour explose, le dernier étage reste.


La Tour est une œuvre pré 11 Septembre 2001.
En 1990 j’avais écrit les premiers mots de ce projet :
« C’est difficile à imaginer »
Et choisi les derniers.
« La lumière des justes est joyeuse,
La lampe des méchants s’éteint » Proverbes 13, 9.
J’avais assisté à des procès.
Des demandeurs d’asiles justifiaient leurs arrivés en France en narrant leurs tragédies personnelles. Des juges demandaient des preuves.
Ça avait donné naissance à une tour.
Le monde, tel qu’il était, est, sera.
Quinze années plus tard.
Le câble de l’ascenseur a lâché quelque part.
Une hache dans la porte d’une église.
Deux avions dans des tours jumelles.
Est-ce qu’on voit le passé, le présent, l’avenir ?
Écrire là-dessus me fait penser au paradoxe du comédien désincarné.
Être là sans y être.
En France, l’écriture dramatique de notre histoire n’est pas notre fort.
C’est qu’il reste à trouver une manière qui nous ressemble.
Se placer dans un temps qui n’existe pas, un temps effleuré, complexe, riche, entre rêve et cauchemar.



Voilà à peu de choses près où cette histoire, notre histoire, m’a guidé.
Une tour hantée. Hystérique. Et des filins, des drisses, tissant des liens avec le grand dehors.
La verticalité assistée.
Et pour ça le plus drôle se mélange au plus triste.
Le plus lisible au plus incompréhensible.
Une sorte de consternation devant un monde qui s’aplatit en faisant semblant de grimper
C’est ce que j’aimerais qu’on ressente.


Gérard Watkins




Quelques mots de l’auteur


J’ai toujours eu du mal à dissocier les événements politiques, ou historiques, de ce qui me lie affectivement et spirituellement à mon entourage. Ce sont des interférences mutuelles. Je n’ai pas la tête froide, et mes relations à tout ça sont très instables. C’est pourquoi je me garde d’être didactique dans mes textes. Ce ne serait pas recommandable du tout. Ce que je fais, depuis que j’erre dans ce milieu, je le fais par défaut. Le défaut qui m’a toujours intéressé. Défaut en tant qu’erreur de fabrique, mais aussi en tant que manque. Je trouve parfois des mises en scène, qui sont manifestement ratées et insuffisantes, intéressantes précisément parce qu’elles font appel de façon forte à un manque, et avec ce manque, je comprends, ou plutôt ressens, quelque chose de plus sur l’humanité qui m’était étrangère jusque-là. La modernité me fait le même effet. Je la découvre tous les jours, n’en maîtrise absolument pas le sens, en comprend une phrase sur trois, et ce que j’essaye de faire c’est de combler les éléments manquants. Pinter je crois faisait ça assis dans les bars en buvant et en observant les gens. En France, on peut peut-être décrier un manque d’affrontement du théâtre à son histoire politique et humaine. Ce manque est un excellent moteur pour moi, non parce que je cherche à le résoudre, mais parce qu’il me fournit un imaginaire sur lequel des personnages peuvent naître, aimer, trahir et mourir, ce que homme et femme font avec une certaine constance et plus ou moins de bonheur. C’est peut-être en ce sens que j’en suis arrivé, pour affronter cette modernité, à une idée assez approximative du théâtre médiéval, théâtre qui aurait pu influencer Shakespeare dans ses jeunes années. Peut-être que dans quelques années, quelqu’un de fort comme Shakespeare arrivera à raconter quelque chose d’à peu près en place sur ce monde, c’est-à-dire à la fois ordonné et excessivement chaotique, et en lisant le théâtre médiéval que j’écris, pourra dire « non, ce n’est pas du tout comme ça qu’il faut faire, arrêtez, écoutez un peu maintenant ». C’est un peu ce déclic que je cherche. Ce monde, on n’en hérite pas, on l’emprunte, comme dirait le vieux dicton Indien.


Les causes, faits et gestes, raisons qui ont mené à la tragédie du 11 septembre m’intéressent autant que ceux qui ont mené des CRS à défoncer la porte d’une église à coups de hache. Peut-être aussi parce que c’était un acte médiéval finalement. Tous ces mouvements et toutes ces peurs de l’Autre qui mènent des flics et des mouchards à venir chercher des gamins dans leur école pour les renvoyer dans leur pays qu’ils ont quitté pour une raison qui ne regarde qu’eux finalement.


L’architecture de cette régression est liée à la cause électorale que nous avons subi une fois de plus, et l’ascenseur est encore descendu de deux ou trois étages. Ce qui a intéressé et influencé le projet de La Tour, quand je pense au 11 Septembre, c’est le rapport au mémorial de la Liberty Tower, en chantier depuis. L’inscription de l’événement dans l’histoire sous la forme d’un mémorial. Est-ce que La Tour se passe devant un trou, ou est ce que La Tour se déroule devant un édifice visible qui se dresse ? Sans être grivois, il y a là matière indispensable à se faire affronter hommes et femmes, mais aussi à se placer dans l’histoire. Garder le trou. Grimper plus haut. La cicatrice, le masque. Une plaie qui ne se soigne pas. Ce que l’on ressent devant l’hypocrisie. Et si l’art ne convient pas au monde ultra-libéral, la bêtise et l’hypocrisie lui siéent à merveille. C’est bon de commencer à envoyer quelques grappins de pirates pour déjouer cet édifice-là. Qui gagne. L’arme que j’ai affûtée ces années observant cette tour serait celle d’une place à peu près libre de tout jugement. N’en ressentant aucune pression ; en être affranchi en quelque sorte. Et voulant jeter maintenant vite haut et fort des esquisses longuement préparées et affinées.


Elle me fait du bien cette tour. Panse mes angoisses en les alimentant.


Gérard Watkins

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