La Tête de l’Homme n’est pas une oeuvre de fiction; ce n’est pas non plus à proprement parler un récit autobiographique : elle n’est pas née du désir ou du projet de raconter une existence ni même une toute petite partie de celle-ci. Peut-être est-elle la redécouverte et l’affirmation qu’être, dans le même mouvement d’étonnement, l’auteur et le lecteur, le sujet inconnu d’une vie s’inventant, c’est vivre très profondément la surface, c’est éprouver et chaque fois apprendre que le plus trivial événement, le plus petit soubresaut perçu de matière ou le plus ample bouleversement du corps est encore est déjà un événement de langage, de pensée.

Pas plus que je n’avais voulu donner avec mon récit L’Accouchée un témoignage sur l’accouchement (je ne savais rien de l’accouchée avant de l’écrire) je n’ai eu l’intention, en écrivant La Tête de l’Homme, de dévoiler les zones d’ombre ou les échos d’obscurité de ma propre existence tout en m’intéressant à la banalité ou à l’extrême singularité de la violence d’un fait divers. C’est par hasard et tout à fait nécessairement que s’imposa ce récit. J’ose dire que si ma vie même m’y sembla suspendue, les questions qui le traversèrent ou dont lui-même tenta la traversée me hantaient depuis longtemps et dépassaient largement le cadre obscur de l’assaut que je subis un soir d’avril. Sans doute ces questions eussent-elles agi, travaillé différemment dans l’esprit d’un philosophe ; en moi, elles ne purent percer que par cette plongée dans la langue et par ce tissage de récits où le plus intime toujours se mêle à l’universel.