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L'Enfant Froid

mise en scène Christophe Perton

: Entretien avec Laurent Muhleisen

par Pauline Sales

Laurent Muhleisen est traducteur. Depuis 1999, il est le directeur artistique de la maison Antoine Vitez, centre international de la traduction théâtrale. Il a traduit notamment les œuvres des plus grands auteurs dramatiques de langue allemande actuels, Marius von Mayenburg, Roland Schimmelpfennig, Dea Loher. Il a répondu à nos questions.


Tu as traduit (je crois) toutes les pièces de Marius, quelles sont les spécificités de son théâtre et quelles sont les difficultés qui se posent à toi comme traducteur ?


Une des spécificités du théâtre de Marius von Mayenburg est un traitement de la langue qui colle au plus près à la vision du monde souvent décalée qu’ont la plupart de ses personnages. Pour décrire certaines situations, nommer certains états, voire certains lieux ou objets, ces personnages utilisent parfois des mots inattendus. On comprend ce qu’ils veulent dire, on est tenté d’introduire, de rétablir en français le mot qu’on pense être « juste », mais bien sûr, il ne faut surtout pas le faire !


Une de ses autres caractéristiques est ce que je nommerais le « dégraissage total » du texte. Marius m’expliquait un jour que la plus grande partie de son travail consistait, une fois qu’il avait écrit son premier jet, à éliminer le maximum de choses, à tendre vers l’expression la plus épurée de ce qu’il veut dire, faire dire à ses personnages. J’essaie donc de suivre le même procédé dans mes traductions.
Enfin, Marius est un spécialiste de la révélation progressive et extrêmement contrôlée des situations. La mécanique de son écriture ressemble à un gigantesque puzzle dont les pièces s’ajustent les unes aux autres selon un plan qu’il décide lui seul, et qui souvent déroute le spectateur, pour mieux le passionner ensuite. Il faut donc, quand on traduit, respecter tous les mystères qu’il distille dans ses scènes, ne pas aller plus vite que lui dans l’élucidation du sens.


Tu accompagnes son théâtre depuis le début, quelle est son évolution ?


L’évolution globale du théâtre de Marius von Mayenburg réside dans sa capacité à rendre compte de la complexité des rapports humains dans un cadre de plus en plus large. Si l’on excepte “Haarmann”, sa toute première pièce, presque une sorte de travail de fin d’études (il a suivi la formation d’écriture théâtrale de la Hochschule der Künste de Berlin), ses quatre textes suivants – “Visage de feu”, “Parasites”, “l’Enfant froid” et “Eldorado” – traitent en gros des rapports de domination entre les individus, en partant pour “Visage de feu” du noyau familial et en abordant, dans “Eldorado”, les dysfonctionnements des relations de couple, des relations mère/fille, femme d’âge mûr/gigolo, patron/employé, professeur/élève, comme autant de déclinaisons possibles d’un sado-masochisme plus ou moins latent en chacun de nous. Dans ce parcours, “l’Enfant froid” s’attarde sur la confrontation de deux générations de couples (parents et enfants) à la modernité, aux nouveaux codes d’utilisation du temps libre, de l’espace public marchand des grandes villes, mais aussi aux nouveaux codes amoureux.


Tu connais de l'intérieur le théâtre allemand contemporain, comment situerais-tu l'œuvre de Marius dans l'histoire de son pays ? Est-ce qu'il est pour toi, typiquement allemand ?


Marius est, je crois, un auteur d’après la chute du mur.
Comme beaucoup de ses contemporains, il a abandonné l’idée que le théâtre pouvait provoquer le débat politique, voire se substituer à lui. Il s’attache à décrire des conflits, des névroses, des dysfonctionnements en collant au plus près à la réalité de ses personnages, à la description de leur univers. Il y a bien sûr là-dedans une dimension politique, et sociale, mais elle n’est pas déchiffrable selon les mêmes critères que ceux de la génération précédente. Et je crois aussi que Marius von Mayenburg est un auteur typiquement allemand.
Dans l’efficacité de son écriture, dans sa volonté obstinée d’aller au fond des situations qu’il crée, dans son désir, aussi, d’écrire un théâtre qui s’adresse très directement à ceux qui le regardent, dans un jeu subtil de distanciation.
Un élément essentiel caractérise, à mon sens, ce théâtre : on s’identifie rarement aux personnages de Marius von Mayenburg, il n’est pas un auteur de la « compassion ». Et pourtant, ils nous concernent de très près.


Entretien réalisé par Pauline Sales

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