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L'Avare

d'après L'Avare de  Molière
mise en scène Martine Fontanille

: Présentation

Mon travail de metteur en scène repose sur les rapports qui s'exercent entre l'intime et notre société. L'envie de traiter du sujet du pouvoir et de travailler sur une écriture classique ont été déterminant dans le choix de monter L'Avare de Molière.

Parallèle avec notre société moderne


La personnalité du personnage principal, Harpagon, obnubilé par l'argent et omniprésent dans la pièce est d'une hyper-modernité. Il nous rappelle l'obsession de nos grands dirigeants et nous permet de faire un parallèle avec notre société en déclin et ultra-libérale. L'Avare est celui qui exerce le pouvoir dans sa maisonnée : un pouvoir absolu, autoritaire, paranoïaque. Les sentiments lui sont complètement étrangers puisqu'il est prêt à marier ses enfants aux plus offrants. C'est un personnage complexe au don d'ubiquité. Manipulateur, il est doté d'une double personnalité : parfois affable et civilisé, il peut se montrer brutal et terrible. La scène où Harpagon se dissimule en père aimant pour faire avouer à son fils que celui-ci aime la même jeune fille que lui, Mariane, est d'une rare cruauté.


Positionnement face à la peur


L'Avare fut pour moi l’occasion de mettre en exergue le fonctionnement d'un être et son positionnement face à la peur. Harpagon est un personnage qui terrorise tout ceux qui l’entourent. La peur est le dénominateur commun entre L'Avare et notre société.
Quels moyens mettons nous en oeuvre pour dompter nos peurs ? Si les personnages de L'Avare usent de tout un panel propre à chacun (sincérité, hypocrisie, naïveté...), les ouvrières, quant à elles, choisissent de surjouer les personnages de cette pièce qui leur rappelle leur situation. Ce procédé ancestral est à l’origine des carnavals. Considérés d’utilité sociale, ils permettaient, un temps donné, de renverser le pouvoir en place et de rejeter toutes les contraintes exercées dans l’année. Les hommes de pouvoir y étaient parodiés, personnifiés par des mannequins de paille. Ce moment de liberté pour le peuple et de chaos total, où l’ordre des choses était totalement inversé, servait de « soupape de sécurité ». A l’instar des carnavals, le choix délibéré du traitement burlesque des personnages de L’Avare par les trois ouvrières leur permet d’apprivoiser leurs peurs en mettant à distance l’objet de leurs angoisses.


Le burlesque, le plaisir, la distance


L’Avare, inspiré de La Marmite de Plaute, mêle comédie, drame, farce et cruauté. J'ai eu envie de revisiter cette pièce sur le mode burlesque. Dans mes mises en scène précédentes, le non-dit était porté par la danse, puis au fil des créations, par une gestuelle plus quotidienne. Le spectacle Noir ou Blanc a été l'annonciateur du mode burlesque comme porteur de l'inconscient. Ma démarche artistique s'est imprégnée de toutes mes rencontres avec le public, aussi bien les enfants que les adultes ou les adolescents. Le mode burlesque semble être entendu par tous. L’exigence artistique peut ainsi rejoindre le plus grand nombre.


Le rire est salvateur. Le rire est un moyen de mettre à distance les évènements de notre vie, c’est donc par ce biais principal que je choisis de travailler sur L’Avare, poussant le rire jusqu’au burlesque. Cette distanciation nous évite l’empathie et l’identification aux personnages. Le burlesque, le plaisir, la distance


Elle nous permet ainsi une vision lucide de ce que traversent les personnages et de mettre en exergue leur propre fonctionnement face à la terreur.


Le burlesque est un mode comique extrême qui touche à l'existentiel. Voir quelqu’un tomber nous fait rire. Cela touche en nous quelque chose d'archaïque et d'intime.
Je suis donc mon chemin artistique : aller vers une gestuelle inconsciente portée par le burlesque, l'outrancier. Pousser une action, un geste à un extrême, un non sens, peut faire naître une poésie.


Le chiffre trois


Trois : c’est le deux plus un. Dans les scènes à deux personnages de L'Avare, il y en a souvent un autre qui rode ou qui protège. Le trois est considéré comme le chiffre de la multiplicité et donc de « l’autre », de son existence. Dans la paranoïa l’autre n’existe pas symboliquement, il est annulé ou nié, et dans L’Avare, à détruire car il empêche sa relation à la cassette. La majorité des scènes de la pièce sont à deux personnages. Quand ils sont trois sur scène, l'un est souvent dans l'ombre des deux autres. Les scènes à plusieurs sont des scènes de farce où les comédiens peuvent s'emparer des rôles, l'un bousculant l'autre pour prendre une place de premier plan. C'est pour cela que j'ai choisi de représenter L’Avare avec trois comédiens.


Dans une précédente création, La ronde d’amour de Schnitzler, deux comédiens jouaient tous les personnages. Le fait qu’il n’y ait pas forcément un comédien pour un rôle renforce l’importance du texte et son contenu. Le spectateur devient plus vigilant, il s'identifie moins aux personnages et est plus attentif au déroulement de la pièce et de ses enjeux. Seul l'Avare aura son comédien attitré permettant ainsi de souligner le fait que tout tourne autour de lui et par lui. Le côté autoritaire, totalitaire, en sera accentué.


Charlotte Delbo


En faisant des recherches sur le milieu clos et en danger j'ai pris connaissance de l'existence de Charlotte Delbo. Charlotte Delbo, proche collaboratrice de Louis Jouvet fut arrêtée avec son mari en mars 1942 pour faits de résistance. Enfermée à Romainville, elle fut ensuite déportée à Auschwitz-Birkenau en janvier 1943. Connaissant admirablement le théâtre, elle reconstituait, avec ses compagnes de captivité, le texte du Malade imaginaire pour ne pas laisser au malheur tous les droits. D'autres fantômes se mêlaient aux pensées de Charlotte, à Birkenau : quand ce n'était pas Dom Juan, c'était Ondine, ou Antigone, ou Alceste. Elle a peut-être même mis en scène un caprice de Musset comme Françoise son personnage principal de la pièce-témoignage Les Hommes, écrite en 1978.


La place de la femme


J'ai eu envie de montrer des femmes qui vivent et se défendent dans leur travail. Je pense qu'il est important de réaffirmer la présence féminine sur scène. Dans notre société, où la place des femmes est toujours en question - et quelle place! - j'ai envie de jouer le rôle du système pour le retourner.


L'action de la mise en scène se passe dans un atelier de confection où la présence des femmes est majoritaire alors je pense au lieu et je place les ouvrières dedans. Ce cliché devient un des paris de la mise en scène. Ces femmes prennent le pouvoir de l’atelier de confection pour une soirée.


Les hommes interprétant les rôles féminins : l’usage jusqu’au XVIe siècle
Dans le théâtre antique, les femmes ne jouaient pas, et les rôles féminins étaient tenus par des hommes. Les masques servaient, entre autres fonctions, à permettre cela. Il faut attendre une période assez récente à Rome pour que l’on trouve des actrices, et uniquement dans le genre du mime. La comédienne n’arrive vraiment sur scène qu’à partir du XVIe siècle, d’abord en Italie dans la commedia dell’arte. Dans la farce et jusqu’à Corneille, des personnages féminins comme la fâcheuse, la mégère, la duègne, la vieille femme étaient souvent interprétés par des hommes, ce qui permettait notamment de les ridiculiser.


Monter L’Avare avec trois femmes est ainsi un clin d’oeil aux usages dans le théâtre jusqu’au XVIe siècle. A travers ce spectacle j'ai aussi envie de poser la question suivante : Comment une femme jouant un rôle d’homme peut-elle arriver à faire rire ? Les hommes travestis en femmes ont une capacité à nous faire rire, dans une sorte d’évidence. Une femme déguisée en homme amène le trouble. Comment passer du trouble au rire ?


La personnalité de l’Avare


L'Avare : personnage paranoïaque
La paranoïa, du grec para (à côté) et nous (esprit), est une maladie mentale à la base de délires chroniques. Pour certains experts la paranoïa est à la base un mécanisme de défense et de protection de l'intégrité psychique de l'individu. Nous sommes tous un peu paranoïdes. C'est ce qui nous permet de ne pas être complètement perméables aux opinions d'autrui, de construire notre propre personnalité, éventuellement de tenir tête et de développer une pensée originale. Mais nous gardons une capacité à modifier et à réviser notre jugement en fonction des apports des autres, en quelque sorte une capacité à transiger et à faire des compromis.


Chez certains individus, généralement aux capacités de raisonnement élevées, ce système dérape et la paranoïa devient pathologique. Le délire paranoïaque s'installe généralement dans l'ordre, la cohérence, et la clarté, à tel point que l'entourage peut parfois douter.


L'étude de la paranoïa au cours de l'histoire, de l'antiquité à l'époque moderne, montre que des formes de paranoïa peuvent par périodes affecter toute une entreprise, tout un peuple, voire tout un continent.


L'Avare : personnage asexué
L’Avare n’est pas une pièce sexuée. La paranoïa n’est pas la maladie d’un seul sexe. L’autre n’est pas convoqué dans la paranoïa sauf pour y être nié ou détruit.
Harpagon veut posséder Mariane, nous ne pouvons pas parler d’amour. Il confond « avoir » et « être ».


Harpagon veut posséder Mariane, nous ne pouvons pas parler d’amour. Il confond « avoir » et « être ».
C’est pour cela que je pense à une représentation à un seul sexe, tous les personnages seront joués par des comédiens du même sexe.

Martine Fontanille

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