La grammaire des mammifères de William Pellier se présente pour moi comme un système complexe dont l’une des finalités, revendiquée par l’auteur, est de nous « représenter la vie sur scène ». Elle se présente comme une «masse verbale » qui semble impénétrable au premier abord mais voilà qu’à l’épreuve du plateau des relations s’opèrent entre les différents fragments (fragments qui pris isolement pourraient sembler vains, creux et vides), des lignes de force se dégagent, des histoires se construisent, les reliefs apparaissent, le paysage se dessine. Je devrais dire les paysages se dessinent car chaque spectateur fera le sien : riche de sa propre histoire, il mettra sa vie en relation avec les fragments de vie proposés par l’auteur sur le plateau, il fera partie de l’expérience, il exercera son œil et son oreille systémiques, il deviendra agissant. Parfois même au sens propre car celui qui observe agit sur l’expérience, ne l’oublions pas, mais plus encore quand l’auteur décide, à la fin de la représentation, d’exposer la « vie » d’un spectateur par le prisme de ses souvenirs d’enfance…Il faudra que les comédiens, dans le cadre de cette expérience commune, restent toujours sur la « crête du présent » et demeurent sensibles à la moindre « vibration » provenant de cette espace partagé entre les spectateurs et les protagonistes. Fort heureusement l’auteur ne nous impose pas ses opinions, (le metteur en scène ne le fera pas non plus !) mais il cherche plutôt à paralyser notre intellect en nous immergeant dans un « paysage sonore». Il cherche à travailler la question de notre perception du réel: « plus que dans l’articulation logique d’une narration, le texte trouve son sens dans le bouillonnement de dizaines d’histoires agitées par des dizaines de voix, mélange d’hésitations, de coq-à-l’âne, de lieux communs, de télescopages, d’associations libres, de suggestions… »^[1].