: Présentation
“S'il vous plaît ouvrez les rideaux”
Sarah Kane a fait une découverte en
écrivant 4.48 Psychose, une découverte
qui l'a amenée à la pendaison et qui
reste pour nous, une énigme.
Travailler sur ce texte, c'est d'abord
affronter la peur, l'effroi même. “J'ai
connu une nuit où tout me fut révélé.
Comment est-ce que je peux encore
parler ?”
Jeune étudiante, Sarah Kane trouva la
scène occupée, empêchée, interdite
en somme. Déjà, Samuel Beckett 50
années plus tôt, avait fait le vide sur
les boulevards.
De texte en texte, de mise en scène en
mise en scène, Sarah Kane va
radicaliser son “dire” mais en
abandonnant la posture provocante
des premiers textes. En filigrane du
texte de 4.48 Psychose transparaît un
discours amoureux, quasi apaisant
mais qui s!avérera une impasse.
4.48 Psychose offre la possibilité de
montrer la peur depuis la scène, cette
scène qui hante l'humain depuis des
millénaires. Scène de la représentation,
de la présentation, de la présentification,
de la présence. Sarah Kane y
voit des fantômes et elle écrit les
fantômes. Aphrodite, OEdipe,
Richard III, le Christ, les saints et les
sorcières, Hitler, Freud. Peur du connu
plus que peur de l'étranger. C'est le
paradoxe.
Tous les fantômes s'engouffrent dans
le corps de Sarah Kane, elle les
absorbe plus qu'elle ne les dévore. Et
lorsqu'elle les a tous ingérés, elle
ferme le tuyau pour qu'ils ne puissent
plus ressortir. Elle se sacrifie pour
nous libérer de la culpabilité de ne pas
les avoir tués nous-mêmes. Elle sert
sa gorge pour qu'ils ne puissent plus
respirer et qu'enfin ils se taisent.
“Regardez-moi disparaître.” Lent
effacement du corps maudit au coeur
du cyclone. La mer s'apaise pour
toujours. Une autre civilisation peut
prendre place et c'est à nous ses
spectateurs qu'elle offre d'accomplir un
geste, un geste salvateur : “S'il vous
plaît ouvrez les rideaux.”
C'est avec cette réplique que se clôt
pour toujours le théâtre de Sarah
Kane.
Bruno Boussagol
metteur en scène
L'Amour au coeur de l'asile
En assistant à 4.48 psychose, vous
participerez à un spectacle qui n!est
pas sans rapport avec l'actualité.
Le "mal de vivre" et d'une manière
générale ladite “dépression” sont devenus
des faits de société.
4.48 psychose est malgré et avant tout
une oeuvre théâtrale écrite par une
jeune dramaturge de 29 ans qui s'est
suicidée. Elle n'en est pas moins une
personnalité marquante de la scène
théâtrale internationale de la fin du
XXème siècle.
Ce texte trouve - comme toute oeuvre
littéraire - sa source dans la vie réelle,
imaginaire et symbolique de son
auteur.
Avec Sarah Kane, nous sommes au
coeur de la problématique que les
spécialistes du suicide connaissent.
Mais ce serait une erreur de ne s'en
tenir qu'à l'aspect documentaire de
l'oeuvre.
Nouche Jouglet-Marcus, Barnabé
Perrotey, Cornelia Koller et moi-même
sommes attachés à la dimension
poétique et à l'offre plastique que ce
texte propose. Nous avons approfondi
autant que possible le cas clinique au
regard des connaissances actuelles
tant sur le plan psychiatrique, phénoménologique
que psychanalytique.
Pour autant la trace qui reste en nous
est d'ordre philosophique.
Nous sommes touchés par ce texte car
il raisonne/résonne en nous.
L'humain contemporain doit trouver
ailleurs que dans l'amour le sens de sa
vie. Cette perspective est vertigineuse
tant elle décale les fondements mêmes
d!une illusion jusque-là pleine d'avenir.
Transmettre une émotion philosophique
de cette intensité peut justifier
aujourd'hui la cause théâtrale.
Bruno Boussagol
metteur en scène
Un texte Sphinx
Psychose 4.48 est un texte Sphinx. On ne peut le mettre en
scène et l'interpréter sans donner une réponse à l'énigme qu!il
contient. On ne peut en effet savoir à la première lecture s'il est
la parole d!une ou de nombreuses personnes et le-leur genre
(la langue anglaise le permet !). Il faut donc représenter
quelque chose… Mais quoi ? Le texte invite avec fermeté à
exclure la forme canonique du dialogue. Il invite aussi à mettre
à jour le lieu d'une parole chorale. Enfin il serait détestable d'y
voir la confession autobiographique d'une suicidée.
On a aimé la réponse originale que donne ce spectacle à
l'énigme posée. On a aimé la réponse donnée au statut du
verbe : choeur et coryphée. On a aimé la réponse donnée au
statut de la vie et de la mort dans la représentation, qui clôt,
dès la première et unique image, l'énigme. On a enfin aimé,
dans la radicalité de la posture qui lui est imposée, l'intense
humanité que l'actrice nous fait parvenir.
Lucien Marchal
traducteur en français de l!ensemble de l!oeuvre de Sarah Kane
Sur et hors scène
suite à la création…
Et si un certain type d'émotion ouvrait sur l'avenir alors qu'un autre nous enfermerait dans un présent vu d'hier.
« Parvenu au milieu d'une pièce de Sarah Kane… Je me suis rendu compte que la réalité avait changé, parce que c'était une pièce qui avait changé les moyens que nous avions de nous comprendre nous-mêmes. Elle nous a montré une façon nouvelle de voir la réalité et quand nous faisons cela la réalité s'en trouve changée » Edward Bond.
Quelles sont les limites de
l'opposition binaire entre « je » et « l'autre » ?
Ou inversant la question, comment réconcilier « je »
avec « l'autre » ?
Comment réconcilier l'humain avec lui-même ?
En donnant à observer ce qui, est similaire chez moi
comme chez l'autre : l'irréductible affrontement de
l'amour et du manque, du bourreau et de la victime, de
la vie et de la mort, du corps et de l'esprit, du masculin
et du féminin, de la « folie et de la « santé mentale ».
Ça c'est moi. Tout dans le va et vient. Jamais
tranquille, jamais un truc ou un autre, toujours
à passer d'un extrême à l'extrême opposé.
Sarah Kane Manque
Car dans son ultime tentative dramaturgique qu'est 4.48 Psychose, c'est l'ensemble de ces dualismes/séparations originelles, qui animent le verbe de Sarah Kane, et qu'elle s'est finalement résolue à circonscrire en les retournant sur elle-même en vue de son oeuvre. Dans ce leurre tout à fait conscient, dans sa « toute personnelle» implacable quête, d'une unité à retrouver.
Parce que nous devons parfois descendre en enfer par l!imagination pour éviter d!y aller dans la réalité. Si par l!art nous pouvons expérimenter quelque chose, nous pourrions peut-être devenir capables de changer notre avenir.
Et avant de disparaître (dans son oeuvre) de nous laisser nous dévoiler à nous-mêmes dans les derniers vers
C'est moi-même que je n'ai jamais rencontré,
dont le visage est scotché au verso de mon
esprit.
Ouvrez les rideaux.
Sarah Kane dernières phrases 4.48 Psychose
Car au travers de cette possible expérimentation, à laquelle nous nous retrouverions spectateurs, mêlés, la prise de conscience dés lors du simple mouvement récurent de notre pensée, dans sa limitation, d'un extrême à l'autre… au travers de la mise à vif, de nos propres espérances, appels, fractures, manques, ou simplement rendez-vous manqués. Un rappel à ce qui fonde l'humain dans l'homme, notre individuelle mais commune humanité… indivisible.
Bien sûr l'exposition à laquelle se soumet
Sarah Kane dans son geste artistique ne peut
échapper au sens de sa propre vie.
Mais le plus important est que dans le fait
même d!avoir écrit cette ultime pièce réside pour elle
un espoir infini, celui de penser que son théâtre
pouvait peut être faire reculer un peu l'indifférence
monstrueuse devant l!autre car c!est bien à cet
échange qu'elle voulait nous convier.
Dans la réussite de la scénographie de
Bruno Boussagol, le/les spectateurs rentrent en
scène en acteurs/médecins en blouse et sont
d'emblée matériellement et visuellement mis en
présence en tant que choeur, au côté d'un coryphée,
autour de l'interprète, de son corps allongé tel un
gisant.
L'éclairage nous focalise sur ce corps, la
peau, qui bat au rythme du verbe tour à tour
pulsionnel puis creusant son signifiant en retour.
Dans l'éclatement des multiples identités
que, sur scène, la voix gouverne, on ne sait plus si
c!est la présence de l'auteure, oscillante, qui s'invite
à la nôtre, ou la nôtre…devenue qui de même[[Il faudrait ici même lire « la communauté inavouable » de
Maurice Blanchot, comme il parvient à nommer ce « qui etait
maintenu » et ce qui est permis d!être re-connu alors.]]
Dans cette empathie extrême la représentation se
vit non pas, pour le spectateur comme « vers un
aboutissement » mais comme une véritable
traversée. Un temps de la représentation où vient
émerger la « terra incognita » de nos intériorités.
Les prétendus noirceur et désespoir
injustement attribués à 4.48 Psychose, ne résistent
pas à sa représentation.
Comme le rappelait Claude Regy dans une
de ses interviews sur Sarah Kane : « si on peut
envisager que des contradictions aussi fortes, aussi
violentes, peuvent se produire dans le même être
dans un temps donné, c!est plus extraordinaire que
de dire que c!est intenable… car cela nous fait
passer dans un autre monde. »
Barnabé Perrotey
rôle du « médecin » coryphée
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