: Note d’intention
« Des fois on aimerait bien retourner comme quand on était un peu plus petit, que tout le monde nous aimait, tout le monde nous disait qu’on était un peu beau. C’est un peu puéril mais de temps en temps on se dit que c’était bien quand on était petit, c’était tout doux. C’est dommage que la vie aille de plus en plus dure » (extrait du film L’heure de la piscine de Valérie Winckler)
Violet est le quatrième volet d’un cycle de mise en scène interrogeant le rapport au réel
(Kant de Jon Fosse en 2006, Les Aveugles de Maeterlinck en 2008 et L’herbe folle d’Eddy
Pallaro en 2009).
Le choix de Violet a été guidé par le désir de poursuivre un champ d’investigation qui a pour
particularité de mettre sur scène des marionnettes hyperréalistes. Ces marionnettes
portent en elles toute la réalité de la vie, sans être vivantes. Leur présence sur scène est
très troublante et ouvre un espace de jeu étonnant qui se situe au croisement de trois
présences, celle de l’acteur, de la figure hyperréaliste et du poème du texte.
La langue de Jon Fosse est propice à ce déplacement du réel car elle porte déjà en elle ce
doute sur ce qui « est » vraiment. Le vocabulaire est épuré, les répliques sont courtes et
méticuleusement découpées, les mots se répètent trop souvent pour être « vrais », au final
on se demande sans cesse si ce que l’on entend est dit ou pensé. Ce doute sur la
provenance de la parole, doublé du côtoiement entre acteur et marionnette, donne au
texte une portée inédite.
Violet parle de la fragilité, la violence, la complexité de l’adolescence.
Elle met en scène 5 adolescents : Le Garçon, La Fille, Le Batteur, Le Chanteur, Le Bassiste.
Ils ont 15 ou 16 ans.
Les garçons ont créé un groupe de musique, ils ne savent pas encore vraiment jouer, ils
viennent d’acheter leurs instruments. La fille est amoureuse. Du batteur ? Du guitariste ?...
Ils répètent dans les sous‐sols de l’usine abandonnée qui leur sert d’horizon au quotidien.
On imagine bien que les pères et les pères des pères y ont travaillé.
Eux rêvent sans doute au succès, à une autre vie.
Souvent, en lisant Violet, je pense aux Clash se déchaînant sur Should I Stay or Should I go.
Les tensions et les non‐dits qui parcourent leurs relations font vibrer tous les
bouleversements de la créativité, du mal être, de la sexualité, de la rivalité, du sentiment
amoureux.
Violet parle aussi de nos héritages, du passé qui nous construit et qui guide
imperceptiblement les relations aux autres et à nous‐mêmes.
Pour « jouer » ces cinq adolescents, Marguerite Bordat, moi‐même et les six personnes de
l’équipe de construction ont réalisé cinq marionnettes hyper réalistes , qui sont plus
grandes que la taille humaine ‐ environ 2m. Ce sont les corps maladroits des jeunes gens
qui nous ont inspiré ces nouvelles sculptures. Membres trop longs, jambes maigres,
mouvements hésitants. Ils sont trop grands parce que leurs corps ne sont pas finis, pas
encore adaptés au monde adulte. Ils sont trop grands parce que nous les regardons de près,
parce que leur violence nous dépasse et que leur désir est immense.
Ils sont « marionnettes à l’image du réel » parce que c’est bien l’Adolescence que Jon Fosse
sonde dans sa pièce et non les adolescents, leur donner l’allure de la vie sans la vie c’est se
pencher sur l’essence de leur existence avant de les envisager dans leurs individualités.
La musique est au coeur de la pièce. Elle est ce qui relie les personnages, ce qui les fait
exister, rêver. C’est la musique qu’ils jouent (les morceaux qu’ils répètent ensemble), c’est
aussi leur musique intérieure, instinctive, directe.
Il me semble que c’est à travers elle que devra apparaître la puissance des sentiments, ce
précipité de révolte, de feu noir autant que l’immense besoin d’être aimé et de regarder
vers demain.
La création sonore de Violet revient de manière évidente au bassiste Arnaud Paquotte qui
fait partie des fondateurs de la compagnie trois‐six‐trente et qui en réalise depuis 10 ans
toutes les musiques (en live ou enregistrées). Ce qui me touche dans son approche du son
au théâtre c’est qu’elle est avant tout celle d’un musicien. Ce qui l’intéresse à chaque fois
c’est de sonder la pulsation de la pièce plus que son atmosphère, son contexte ou sa
narration. Pour cette 7ème création de la compagnie, où la musique tient un rôle à part
entière, c’est plus que jamais avec lui que je souhaitais travailler. Depuis quelque temps
Arnaud a créé le groupe Cheresse avec deux autres musiciens bruxellois, Jean‐Philippe De
Gheest (batterie) et Hugues Warin (guitare). Leur musique est puissante, tendue et
poétique, elle me fait penser à un volcan. Elle semble faite sur mesure pour Violet et leur
formation ressemble étrangement au groupe de la pièce...
En lisant Violet, je sens que quelque chose est sur le point d’exploser, quelque chose
d’extrêmement fragile. Je voudrais rendre compte de cette fragilité d’être, de l’immense
besoin d’amour et de reconnaissance qui précède l’explosion.
Bérangère Vantusso
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