: Note de la traductrice
Soudain l’été dernier : dès le titre, on a le coeur
qui bat. « L’été dernier », c’était hier, la saison
des voyages et des amours. Mais dès le premier
mot, « soudain », on pressent l’irruption
du drame. Ou plutôt, le drame a déjà eu lieu,
puisque c’était l’été dernier. Ce que nous
aurons, c’est le récit du drame. Comme dans
la tragédie, jadis. Dans sa vérité ? Oui, mais
une vérité que l’on s’efforce d’étouffer, et en
cela le drame est actuel : nous en voyons
tous les jours, de ces journalistes ou écrivains
ou cinéastes courageux jetés en prison ou
assassinés, sur tous les continents, pour avoir
voulu protester, dénoncer, résister, ou tout
simplement chanter le désir de liberté. Et
l’asile psychiatrique a trop souvent servi, sert
encore trop souvent, de prétexte, dans trop
de pays, pour parquer, neutraliser, bâillonnner
ceux ou celles qui dérangent. Dans l’espace
de l’enfermement psychiatrique, comme dans
l’espace interstellaire, on n’entend pas les cris.
Qui a l’argent a le pouvoir, en particulier
le pouvoir de faire taire. Et celui de donner
au mensonge l’autorité de la parole écoutée.
Cela aussi, c’est une réalité familière. Mais c’est
par la voie de la fable que Tennessee Williams
nous la conte, la fait vivre sous nos yeux. Car
Williams n’est pas un tribun, un déclamateur,
c’est un poète. C’est par l’enchantement des
images et de la langue qu’il transcende le fait
divers. Il joue sur la blancheur immaculée des costumes ou implacable de la lumière, sur le
déroulement d’un phrasé mélodique, sur les
métaphores - le jardin d’intérieur aux plantes
carnivores, les oiseaux dévoreurs de tortues des
Îles Galapagos, Cabeza de Lobo - pour parler
des passions sexuelles qui font qu’on dévore
et qu’on se laisse dévorer. Littéralement, dit
le poète.
L’expression, souvent galvaudée « théâtre
de la cruauté », vient en mémoire quand on
lit, à plus forte raison quand on traduit pour
la scène Soudain l’été dernier . C’est un lyrisme
lancinant qui, dans le Garden District de la
ville du jazz, joue sur les cris rauques de la
jungle ou sur la musique frappée sur des
boîtes en fer-blanc. Qui joue sur quelques
images fortes et contrastées, « rue aveuglante,
chauffée à blanc », « horde de petits moineaux
noirs déplumés ». Qui joue, aussi et surtout,
sur une progression lente, au rythme calculé
au millimètre, de la découverte de la vérité.
Peu de mots, qui reviennent, en litanie. « Vous
ferez ce que je vous demande ? – Oui, j’essaierai.
– Vous raconterez la vraie histoire. – Oui,
la vraie histoire. – L’histoire vraie de vraie… »
Prendre tout son temps, écouter dans une
sorte de transe la parole qui se libère. Et entendre,
dans sa profondeur méditative, une dernière
réplique (car, ne l’oublions pas, nous sommes
au théâtre) en forme d’interrogation et d’incertitude
: et si cette jeune fi lle disait la vérité ?
Marie-Claire Pasquier
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