: Entretien avec Olivier Py
Propos recueillis par Marc Blanchet
Hamlet à l’impératif ! au jardin Ceccano propose un événement bien particulier dans un lieu qui l’est tout autant. Quelle vision avez-vous de cet endroit au sein du Festival d’Avignon ?
Olivier Py : Rendons à César ce qui lui appartient ! J’ai une grande admiration pour ce qu’Alain Badiou a écrit autour de La République de Platon pour le premier feuilleton présenté au jardin de la bibliothèque Ceccano. J’ai très vite compris qu’à travers la forme singulière du feuilleton, présenté en entrée libre, le Festival d’Avignon pouvait rencontrer un autre public et affirmer sa mission démocratique, en créant une passerelle entre artistes et publics. Nous pourrions dire que le feuilleton Ceccano est devenu un rituel, un rendez-vous philosophique quotidien, permettant d’aborder chaque année avec de nouveaux artistes des sujets d’actualité.
Avez-vous souhaité par ce feuilleton Hamlet à l’impératif ! donner la preuve par dix d’un « Hamlet enrichi » ?
Je m’étais jusque-là refusé à faire le feuilleton Ceccano : comment diriger le Festival d’Avignon et être présent au jardin de la bibliothèque Ceccano chaque jour à midi ? Et puis le projet de travailler autour d’Hamlet est apparu : j’ai toujours pensé que, si un jour je devais revenir à Hamlet, je le ferais dans une forme longue dans laquelle je pourrais inclure les commentaires existants sur la pièce de William Shakespeare. Cette grande aventure d’Hamlet à l’impératif ! se fait avec des amateurs, des étudiants de l’École régionale d’acteurs de Cannes et Marseille, des acteurs avec lesquels j’ai l’habitude de travailler, et deux anciens participants des ateliers du Centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet, qui avaient joué dans Antigone et Macbeth.
Après tant d’années de pratique théâtrale, quels liens entretenez-vous avec cette pièce ?
J’entretiens depuis toujours une relation forte avec Hamlet. J’ai d’abord
monté l’opéra d’Ambroise Thomas, une belle trahison du XIXe siècle. Puis à
ma grande surprise, ce sont les détenus du Centre pénitentiaire d’Avignon-
Le Pontet qui m’ont demandé de jouer Hamlet. J’ai fait pour eux un exercice
difficile : relire la pièce, la synthétiser, commencer l’architecture d’une
traduction, en faire une version brève. Ensuite j’ai mené deux ateliers avec
des jeunes acteurs dont ceux de Ier Acte, programme de la diversité et de
soutien aux jeunes artistes. J’ai commencé à traduire William Shakespeare
voici quinze ans, avec Le Roi Lear et Roméo et Juliette. Je n’aurais pu me
lancer tout de suite dans Hamlet pour une raison très simple : la pièce fait
deux fois la taille du Roi Lear. Elle n’est jamais montée dans son entier.
Hamlet est un monstre. Elle mérite bien quatre heures et demie de scène.
Vous lui offrez onze heures, en nous parlant de l’édition originale, soit trois versions, et de la glose immense à son sujet.
C’est un travail lent et patient. Dix ans de passion obstinée. J’avais le rêve de faire une encyclopédie des commentaires d’Hamlet. Même en la réduisant au XXe siècle, ça reste un océan ! Le livre qui paraît chez Actes Sud est une sorte de cartographie de ce voyage. Réaliser cette encyclopédie pour un universitaire serait y consacrer sa vie ! Au XVIIIe siècle, des penseurs commencent à s’intéresser à William Shakespeare à travers cette pièce ; au siècle suivant, ils l’utilisent à leur manière pour fonder le ou les romantisme(s). Arrive le XXe siècle où de manière inouïe tous les grands penseurs – les philosophes, mais aussi les psychanalystes, les sociologues, les linguistes, les juristes, les historiologues – se sentent obligés, à un certain moment de leur parcours, d’écrire leur lecture d’Hamlet. À travers ces commentaires, il nous est possible de faire une histoire du XXe siècle. Aucune autre pièce dans le répertoire n’a un tel destin, ni aucune réplique comme « To be or not to be » ou « Time is out of joints ». Ces deux répliques méritent chacune un épisode à elles seules.
Ces répliques archi-commentées sont une énigme...
Peut-être est-ce la raison pour laquelle chaque époque, chaque sphère de
la pensée, chaque herméneutique ont pu et dû se les approprier. J’ai comme
source le « discours d’escorte », qui oblige à lire Sigmund Freud, Jacques Lacan,
Ludwig Wittgenstein, Martin Heidegger et Carl Schmitt, juriste devenu nazi qui a
écrit des choses inouïes sur Hamlet... Sans oublier Georg Brandes, John Dover
Wilson ou encore Jacques Derrida, Gilles Deleuze...
L’autre source, c’est le
texte original. Ou plutôt les textes originaux. Nous en avons au minimum
trois différents : deux quarto et un folio qui sont édités ensemble dans les
éditions savantes. Elles sont pleines de trésors intellectuels et poétiques et
n’ont jamais été portées à la scène ! Je me suis concentré sur une certaine
piste critique : Hamlet et la pensée occidentale. Je n’avais pas choisi d’unité
de temps ; elle est apparue d’elle-même.
Je voulais suivre la chronologie
de la pièce : tout spectateur qui aura suivi les dix épisodes aura vu la pièce
dans ma traduction en entier – avec parfois une confrontation à d’autres
traductions. Chaque épisode est consacré à un des grands thèmes d’Hamlet.
Je bouleverse néanmoins la chronologie avec « Être ou ne pas être » en y
consacrant mon premier épisode alors que ce n’est pas la première réplique
de la pièce. Je convoque ainsi ceux qui peuvent nous éclairer sur la réplique la
plus connue de la pièce la plus connue du dramaturge le plus connu, et dont
personne ne sait vraiment ce qu’elle veut dire !
- Propos recueillis par Marc Blanchet en avril 2021
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