: Entretien avec Vincent Macaigne
Propos recueillis par Tony Abdo-Hanna
Pouvons-nous parler du retour de Vincent Macaigne au théâtre, après un riche itinéraire au cinéma ces dernières années ?
Vincent Macaigne : En fait je ne me suis jamais arrêté de faire du théâtre !
Pendant
toute la pandémie j’ai répété des spectacles que je n’ai pas montrés, et j’organise
régulièrement des ateliers avec des comédiens, qui me servent de laboratoires d’essai
pour de futures créations. Je ne cherche pas à sortir un spectacle tous les ans, je crée
un spectacle quand je sens qu’il y a une nécessité, je mets toutes mes forces dans ce feu
d’artifice.
Je trouve très important, surtout en ce moment, de pouvoir continuer à faire
des spectacles qui aient une certaine ampleur aux yeux du public. Il faut s’y lancer, sinon
on va perdre l’habitude progressivement de ces rendez-vous, de ces productions qui
font événement.
Quels textes constituent la trame d’Avant la terreur ?
V. M. : Je travaille à partir de lectures portant sur l’Histoire d’Angleterre, notamment
les textes de Richard III et Henri VI de Shakespeare, ainsi que divers ajouts : c’est un
montage dans lequel je réécris beaucoup au plateau et en fonction des désirs des
comédiens. L’Histoire d’Angleterre m’intéresse entre autres pour son aspect aberrant :
des catastrophes en boucle et des assassinats en série entre familles prétendantes au
trône.
Ainsi tous les ancêtres de Richard III, jusqu’à ses arrière-arrière grand-pères et
grand-mères ont été éliminés par une autre famille, de génération en génération. La
famille des Tudors est une famille dissidente qui n’aurait jamais pu accéder au trône.
Elle
a assassiné tous les membres de la famille Plantagenêt pour y arriver puis a commandé à
Shakespeare des pièces de propagande pour détériorer entre autres l’image de Richard
III. Ce n’est pas la vérité qui nous est contée et peu importe.
Ce qui m’intéresse c’est que
Richard III soit dans un monde dysfonctionnel où des gens veulent le tuer. Il ne produit
pas lui-même la violence, il répond aux violences qui l’entourent. C’est quelqu’un qui s’en
prend plein la figure ! On veut le tuer ainsi que ses frères depuis leur enfance !
Malgré le
projet de propagande de Shakespeare, on peut déceler que Henri V et Henri VI, qui sont
censés être glorifiés, commettent des actions insensées.
Quels aspects politiques ou sociaux vous intéressent dans cette saga du royaume d’Angleterre ?
V. M. : La thématique de la pièce, je dirais que c’est la mise à mal du rêve. C’est la toxicité
de notre Histoire qui m’intéresse, elle est sensible chez Shakespeare dans cette légende
des rois d’Angleterre. Fondamentalement, il y a là le thème de la malédiction, Richard
III est une pièce de malédictions : des personnages viennent régulièrement le maudire
ou maudire le monde tel qu’il va. Aujourd’hui tous les deux jours, il y a quelqu’un qui
nous annonce une fin de monde possible à cause de l’intelligence artificielle, de la
robotique, d’un nouveau virus, des problèmes écologiques, des dictateurs, de la guerre
nucléaire… Ce qui n’est pas sans fondement.
Je pense que Shakespeare répond à une
forme de pressentiment de fin du monde, non pas le nôtre mais le sien, en décrivant
des comportements complètement fous. Nous sommes aussi dans une transformation
accélérée du monde qui est terrorisante et la réponse à la terreur que l’on fait subir aux
gens va probablement être aussi très brutale.
D’où le titre de votre pièce Avant la terreur ?
V. M. : Oui, par comparaison avec l’art dit d’après-guerre, j’ai souvent ressenti que je
faisais des pièces d’avant-guerre, dans le sens où je suis d’une génération qui pressent
que les choses vont trembler. D’ailleurs cela a déjà tremblé, je ne peux plus dire « avant
la guerre », la guerre est là, donc c’est « avant la terreur ». Après, évidemment, il y a
beaucoup d’humour, j’aime le ludique, le fantaisiste, l’énergie, ma référence majeure ce
sont les Monty Python !
Je trouve les situations jouées terribles et hilarantes en même
temps. J’y vois un côté burlesque, dans la lignée de ces pièces de bouffonnerie, jouées
au Moyen Âge, dont les personnages très méchants n’arrêtent pas de s’entretuer.
Pour vous la fiction est une forme de résistance à la terreur ?
V. M. : Dans le théâtre - et dans le cinéma aussi - il y a une forme de folie à vouloir créer,
surtout dans le monde d’aujourd’hui où, quand on parle de l’importance de la culture,
on vous répond : mais le monde est en train de disparaître ! Or d’une part la culture
et la préservation de la planète ne s’opposent pas, et d’autre part, la disparition de la
parole moderne, de la culture, c’est une forme de fin du monde en soi.
L’attaque qui est
systématiquement faite à la culture est terrifiante parce que c’est la seule manière que
l’on a de se raconter, et de se dire que l’on est vivant. Et petit à petit, à force de ne pas se
raconter on va s’effacer. La société tend à déserter en ce moment l’espace de la fiction,
préférant une restitution du prétendu réel. Or la fiction ouvre un espace critique, on peut
prendre position, aimer ou détester. La fascination du réel induit une sorte de chirurgie
réparatrice mentale perpétuelle, admise par le spectateur, quitte à se déformer lui-même
pour se retrouver dans cette proposition de réel. C’est une nouvelle terreur. L’idée de la
fiction est très importante pour moi. Je pense que c’est un acte de civilisation au sens
où Malraux l’entendait à propos de l’essor des Maisons de la Culture, des cinémas, de
la littérature et des théâtres. J’ai envie que mes spectacles soient une source d’énergie
tournée vers le monde.
- Propos recueillis par Tony Abdo-Hanna en juin 2023
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